Monsieur Jean-Pierre LAFON, Secrétaire général au Ministère des Affaires étrangères.
Il a bien voulu s’exprimer très librement devant nous.
Il indique tout d’abord qu’il y a deux manières de voir la situation de la langue française :
– Elle est bonne : le français se porte bien, le nombre de demandeurs de français, augmente, notamment en Afrique ; le nombre de locuteurs augmente également : 180 millions de personnes parlent le français.
– Les réalités sont moins brillantes : si la demande de la langue française est en augmentation, hormis au Gabon seuls 5 à 7% de la population parle français en Afrique francophone ; le nombre de jeunes parlant français en pourcentage de la population est en recul au Maghreb, où 30% d’entre eux ne le parlent pas, ainsi, en Algérie, quand il y a des test en français pour des recrutements, 30% des candidats ne se présentent pas. Un effort important pour la formation des maîtres est indispensable.
Enfin, le français est en recul en Europe et dans les institutions européennes. Le français est la deuxième langue utilisée, mais il est en recul continue depuis 15 ans et se place désormais très loin derrière l’anglais, l’arrivée des nouveaux Etats –membres a été de ce point de vue déterminante :67% du contenu du site Internet de la Commission est en anglais, 11% seulement en français ; dans les groupes de travail, on passe à l’anglais dès que l’un des membres présents ne parle pas français. Nous gardons toutefois encore des positions solides dans le système juridictionnel.
Il précise ensuite que la politique de la langue française ne se confond pas avec la Francophonie ; la Francophonie ne s’identifie pas avec la pratique de la langue française; il y a de nombreux exemples de pays francophones où le français est très peu parlé et où il est en recul, l’Égypte, par exemple, ou le Viêt-Nam. La Francophonie, qui regroupe 63 Etats et gouvernements, est d’abord une politique.
On ne peut plus dire que le français est la deuxième grande langue véhiculaire dans le monde à côté de l’anglais. Dès lors, pour éviter le monopole d’une langue et d’une culture, la France soutient la diversité culturelle. Elle a pris la tête d’un mouvement en ce sens qui a abouti, avec le soutien de la Francophonie et de l’Union européenne, à l’adoption d’ une résolution à l’UNESCO, votée à l’unanimité moins 2 voix à l’automne dernier, sur la diversité culturelle.
Jean-Pierre LAFON indique que nous devons nous efforcer de bien comprendre les enjeux pour bien choisir nos méthodes.
La France dispose, à travers le monde d’un réseau très dense : Alliance Française, Instituts français, centres culturels, lycée français, soit environ 600 organismes au total. Ce réseau est très coûteux. La Grande Bretagne et l’Allemagne ont beaucoup moins d’établissements et font tout autant que la France pour la promotion de leur langue. Le British Council conduit une politique de rationalisation des ses implantations, notamment en Europe. Le ministère des affaires étrangères essaie de rationaliser ces implantations et de trouver des moyens de financement innovants, comme on l’a fait pour la construction du lycée français, au Liban, où le Gouvernement libanais a fourni le terrain.
Dans l’Union européenne, nous soutenons la connaissance de trois langues par tous les fonctionnaires des institutions. Ainsi, pour les recrutements, nous demandons que les postulants connaissent au moins 3 langues de l’Union, leur langue maternelle ainsi que deux autres langues. Des discussions sont en cours avec la Commission à ce sujet. Nous avons des alliés parmi les Allemands, les Espagnols et les Italiens, mais les nouveaux Etats membres seraient prêts à accepter que l’anglais soit la langue de travail unique.
Nos positions sont parfois incohérentes. Ainsi, dans le domaine audio-visuel, nous avons TV5 qui marche bien et qui diffuse en français. Cependant, nous allons lancer une deuxième chaîne internationale dont l’objet est de diffuser un point de vue français pour éviter le monopole des idées anglo-saxonnes. Cette chaîne diffusera largement en anglais. Nous allons donc avoir deux instruments en concurrence, l’un en français, l’autre en anglais.
Nous devons être mieux organisés en ce qui concerne l’accueil des étudiants étrangers en France. Une réflexion est menée actuellement entre les ministères des affaires étrangères et de l’éducation pour regrouper en une seule agence les diverses structures existantes. On a trop négligé les pays émergents comme la Chine, le Brésil au profit de l’Afrique et du Maghreb. Nous devons attirer les meilleurs étudiants des différents pays du monde, sinon ils iront ailleurs, et notamment aux Etats-Unis, qui font une sélection par le niveau et par l’argent et n’ont pourtant aucun problème de recrutement, et nous aurons la réputation d’accueillir les moins brillants.
Il conclut son intervention en disant que la langue française doit être défendue mais qu’il faut la défendre avec intelligence, en acceptant de rationaliser nos méthodes et nos moyens d’intervention.