Monsieur Alain CALMAT, ancien Ministre, ancien champion de patinage artistique, chirurgien.
Lorsque l’on fait la bibliographie de l’Histoire du Sport, on se rend compte que les activités physiques et sportives ont toujours occupé une place importante dans la vie de l’homme, tant au plan individuel qu’au plan collectif. Depuis l’ère du sport moderne avec le renouveau de l’olympisme, à la fin du XIXème siècle, et surtout depuis la mondialisation du sport où les enjeux économiques, médiatiques et politiques du sport se sont surajouté posant de multiples problèmes, que ce soit au Mouvement sportif, aux Gouvernements et aux sportifs eux-mêmes. Bien entendu les problèmes sont très différents selon le degré de pratique, depuis le simple loisir jusqu’au Haut niveau.
Il est intéressant de constater que successivement depuis 1936 jusqu’à nos jours, le sport au plan de la tutelle gouvernementale dans notre pays a parfois été rattaché aux loisirs (Léo Lagrange), à l’éducation (Mazeaud) au temps libre (A. Henry), aux associations (plusieurs fois) et maintenant à la santé depuis 2007. De tout temps, ou presque, remarquons que le sport a été associé au plan ministériel à la compétence jeunesse.
Pour ce qui me concerne, le Ministère que j’ai eu l’honneur de diriger, comme ministre délégué de 1984 à 1986, était le Ministère de la Jeunesse et des Sports, avec une direction supplémentaire d’éducation populaire recouvrant la vie associative.
Loisirs, jeunesse, vie associative, éducation, santé : il s’agit manifestement de secteurs sociétaux associés au sport au plan des politiques publiques de l’Etat, voire maintenant des collectivités locales.
Remarquons d’emblée que le schéma, mis en place par Maurice Herzog sous le Général de Gaulle, est celui qui a fait modèle pour beaucoup de nos amis francophones puisqu’il existe une CONFEJES qui est la Conférence des Ministres de la Jeunesse et des Sports des états et gouvernements francophones.
Elle est actuellement dirigée par S.E.M. Youssef Fill Secrétaire Général (Mauritanien).
Je rappellerai que la CONFEJES est une instance de la francophonie créée en 1969 et composée actuellement de 42 pays et gouvernements situés en Afrique, Europe, Moyen-Orient, Asie du Sud est, dans le Maghreb ainsi qu’en Amérique du Nord.
Actuellement donc en France, le Secrétariat d’Etat chargé des Sports est sous la tutelle du Ministère de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la vie associative.
Je pense que dans l’esprit de ceux qui ont souhaité désigner cette tutelle gouvernementale au Sport, il ne s’agissait pas seulement de la santé du sportif de Haut niveau qui soit dit en passant, est soumis plutôt à de multiples accidents de santé, que ce soient des accidents physiques, des pathologies en rapport avec le surentrainement, avec le dopage éventuel, avec les calendriers surchargés, etc… Non, je pense que le Président de la République a souhaité légitimement souligner les bienfaits des activités physiques en général et en particulier celles pratiquées dans le cadre d’un sport, c’est-à-dire d’activités physiques ludiques, soumises à des règles techniques, organisées ou non mais bien identifiées.
Alors pourquoi pas ? l’idée n’est pas mauvaise. Je crains par contre que la forme de cette association Sport-Santé prise (tutelle gouvernementale d’un Ministère de la Santé sur celui chargé des sports) ne soit qu’un affichage creux, sans aucun levier susceptible de faire avancer les choses. A mon sens, mieux aurait valu créer un Ministère des activités physiques et des Sports puissant, muni d’outils efficaces comme une vraie direction de la Santé par le Sport.
Quoiqu’il en soit, l’idée d’associer Santé et Sport est intéressante parce qu’à côté de la vertu reconnue aux activités sportives d’être préventives pour certaines maladies dues à la sédentarité (diabète type 2, obésité avec tous leurs cortèges pathologiques) pointe une notion assez nouvelle que j’appellerai le sport thérapeutique ou « sport médicament ». Des travaux de plus en plus nombreuses montrent que des affections cardiaques ou même vasculaires (HTA) et bien d’autres encore peuvent bénéficier significativement des bienfaits des activités physiques. Or, quoi de plus attrayant que l’activité sportive bien contrôlée et bien codifiée pour permettre l’adhésion à cette activité physique ? Le champ de développement du sport-médicament est immense et mériterait d’être mieux pris en compte dans le domaine recherche-développement, s’adressant aux fédérations et à la puissance publique dans son ensemble, (qu’il s’agisse de l’Etat et des collectivités territoriales). Encore faut-il y consacrer les moyens nécessaires. Pourquoi ne pas y associer par exemple les systèmes de financement de la santé, telles la Sécurité Sociales ou les assurances ?
Outre la santé, dont je viens de parler, on peut relever (schématiquement) cinq thèmes dans la relation sport – société : éducation et socialisation, économie, médias et politique. Les enjeux ne s’adressent pas tous forcément au même type de public. Cela dépend notamment de l’âge et du degré de pratique considéré.
1 – L’EDUCATION ET LE SPORT
Cet enjeu intéresse tout particulièrement l’enfant et d’une manière générale toute la période scolaire.
Le sport est un mode privilégié de l’expression du corps au même titre que le langage est le mode dominant d’expression de la pensée.
Leur apprentissage simultané permettra de doter l’élève de deux corpus de connaissances distincts à partir de structures pédagogiques communes ; Ainsi, les deux formations se renforceront l’une l’autre, tout ce qui sera fait dans un domaine bénéficiera à l’autre et réciproquement ;
C’est la raison pour laquelle, en tant que ministre de la Jeunesse et des Sports de 1984 à 1986, j’ai développé un projet d’Aménagement du temps scolaire (ATS).
Ce projet, qui est devenu réalité par l’application d’une circulaire dite « Calmat Chevènement), était destiné à lancer des passerelles entre la vie scolaire et la vie associative, entre l’Éducation nationale et le mouvement sportif de manière à encourager le développement simultané de la formation sportive et de la formation intellectuelle des enfants. Le dispositif d’aménagement du temps scolaire que nous avons conçu poursuivait plusieurs objectifs : la santé des enfants, l’apprentissage des mouvements du corps, l’apprentissage de gestes techniques, le goût du sport, les vertus pédagogiques de la formation sportive. Deux considérations de fond venaient renforcer notre démarche : d’une part le corps des enfants est un corps en devenir, d’autre part plus les gestes techniques, plus le goût pour le sport sont développés tôt, plus ils laissent une empreinte durable et forte dans la personnalité. Ce qui signifie que l’adulte reviendra à la pratique sportive d’autant plus facilement qu’il en aura pris l’habitude dès son plus jeune âge et cela sera bien nécessaire ultérieurement. Ce dispositif a été créé en 1985 sous forme d’une circulaire incitative à un partenariat entre les ministères de la Jeunesse et des Sports et de l’Education Nationale d’un côté, les communes d’autre part. Son succès a été très important. Au cours des années, il s’est modifié : contrats bleus, ARVEJ, CATE, etc…Actuellement le sport à l’école primaire, même s’il est encore insuffisamment développé, existe dans beaucoup de villes et c’est une satisfaction de voir que ce que j’ai initié en 1985 est entré dans les faits et se perpétue.
2 – LA SOCIALISATION
Elle est également une des vertus du sport, elle est aussi bien valable pour le jeune que pour l’adulte et elle s’adresse à tous les niveaux de pratique.
– Le sport est un vecteur de socialisation chez le jeune, car l’expression corporelle est d’abord est avant tout un moyen d’expression. C’est un vecteur de socialisation de par les modalités de son enseignement, un enseignement collectif : les terrains de sport comme les classes de cours sont propices au rapprochement d’enfants de milieux et de sensibilités différents.
La formation simultanée au sport et au langage apporte à l’enfant les moyens de son expression. Le développement simultané du corps et de la pensée favorise la sûreté de soi-même et donc plus de sociabilité. Il est regrettable à cet égard que l’on ait si longtemps et si souvent opposé dans nos écoles le fort en thème, celui que l’on considérait comme le bon élève, au sportif, le mauvais élève selon les mêmes critères.
– C’est également un vecteur de socialisation pour tous par les modalités de sa pratique : il se pratique souvent au sein d’une équipe ou plus généralement au sein d’un club ou d’une association ou même en groupe inorganisé. Remarquons que les pratiques sportives peuvent également faciliter l’intégration des populations d’origine étrangère.
– Le sport est également un facteur de socialisation internationale par le fait que chaque discipline sportive crée autour d’elle une communauté spécifique qui, par nature, ne comporte pas de frontière géographique, raciale ou géopolitique pour un sportif de Haut niveau. Le monde de la musique ou de n’importe quelle activité culturelle est identique à cet égard au monde des sports. Chaque famille partage un vocabulaire, des habitudes, des connaissances, la sensation d’une excellence, elle partage une culture commune. Être membre d’une même famille sportive rapproche, facilite les échanges. Personnellement, lorsque je vais aux Etats-Unis, au Canada, en Allemagne, en Russie, ou au Japon, (là où le milieu du patinage artistique est bien individualisé), ce monde là est heureux de me recevoir « comme en famille ». Il en est de même bien sûr, pour les autres sports. Le football, le rugby, l’athlétisme permettent encore mieux ces échanges entre les pays du Nord et du Sud. On peut là encore mieux parler de sports universels car ils se pratiquent partout dans le Monde.
Après les vertus éducatives et socialisatrices du sport, venons en maintenant aux enjeux sociétaux plus récents, conséquence du formidable essor du sport de Haut niveau et de son impact international et qui s’adresse au sport dans tous ses types de pratique.
3 – L’ECONOMIE ET LE SPORT
C’est un des aspects nouveaux important de la place du sport dans la société :
Au cours des cinquante dernières années, le sport a fait l’objet d’un développement exceptionnel. La pratique sportive par un nombre croissant de personnes a entraîné dans son sillage l’essor d’un secteur économique conséquent. En France il représentait 1,73 % du Produit intérieur brut en 2003.
Ainsi, la dépense nationale sportive s’est élevé en 2003 à 27,4 milliards d’euros dans notre pays. Les ménages contribuent pour un peu plus de la moitié de cette dépense, l’État et les collectivités territoriales en assument les 40 % et la part des entreprises s’établit aux environs de 8%. Cette dépense, et donc la consommation, se répartit en trois grands domaines : les achats de vêtements et chaussures, les achats d’équipements et les achats de services. Les achats de vêtements et chaussures ont largement débordé le domaine du sport : ils participent aujourd’hui d’un phénomène de mode. Les services sportifs occupent une place importante dans la consommation des ménages : 41% des dépenses « sportives » des ménages (soit 5,8 milliards d’euros) vont vers les services sportifs, tels ceux fournis par les clubs ou associations sportives, l’entrée dans les centres de loisirs sportifs (piscines, patinoires, etc.) ou les spectacles sportifs. Les effectifs du secteur représentent environ 360.000 emplois.
On ne peut que se féliciter de cette vitalité du sport et de sa traduction économique.Ce qui pose problème ce sont les excès et les déséquilibres qui peuvent se créer. Le développement de la pratique et de l’image du sport ont fait naître des enjeux commerciaux financiers colossaux qui sont porteurs de déviances souvent graves.
Une des causes majeures de ses déviances est l’importance qu’ont pris les médias concernant le sport.
4 – LES MÉDIAS ET LE SPORT
Les médias ont très fortement investi dans le secteur sportif au cours des dernières décennies : à titre d’exemple, en 1968 on comptait 232 heures de sport sur les chaînes de télévision françaises, aujourd’hui, on totalise plus de 30.000 heures.Toutefois, la retransmission télévisuelle ne s’intéresse qu’à un très petit nombre de sport, (à l’exception des périodes olympiques) : football bien évidemment, rugby, basket, tennis F1 principalement, reléguant souvent la très grande majorité des basket, tennis F1 principalement, reléguant souvent la très grande majorité des sports à la portion congrue, ce qui n’a fait que creuser le fossé entre les différentes fédérations (nationales et internationales).
Les investissements réalisés peuvent afficher une progression réellement exponentielle : entre 1991 et 2001 les droits de télévision du football français passent de 21 millions d’euros à 389 millions d’euros, 600 millions en 2007 ! ; la croissance est encore plus extravagante en Grande-Bretagne puisqu’ils passent sur la même période de 21 millions à 900 millions d’euros. On assiste au même type d’évolution pour les Jeux Olympiques : 1 million de dollars pour les Jeux de Rome en 1960 et 2.000 millions de dollars pour les Jeux de Pékin en 2008. Ces investissements sont la contrepartie d’investissements publicitaires parallèles. Nombre d’entreprises organisent des campagnes publicitaires pour « accrocher » leur marque à celle du sport, (et plus précisément à celle du sport de haut niveau, le seul valorisant en termes d’image). Il en résulte une forme d’effet en boucle, particulièrement nocif : plus la performance est spectaculaire, plus l’audience est élevée et, par voie de conséquence, plus l’investissement en rentable. Plus l’investissement est rentable, plus l’annonceur aura tendance à investir et, par voie de conséquence, plus les droits de retransmission seront élevés. C’est à ce moment précis qu’intervient le franchissement de la ligne jaune pour certains sportifs. La performance sportive change de nature : elle n’est plus exclusivement humaine, elle devient aussi et surtout financière. Le sportif de haut niveau devient un actif financier qui se doit de rentabiliser l’investissement réalisé à travers sa personne. Il devient dès lors particulièrement difficile de résister tant à l’appât du gain qu’à la pression qui en découle, posant des problèmes en terme de dopage, de reconversion, de vedettariat, etc…
Les problèmes ne concernent pas que le sportif de haut niveau lui-même. L’entrée en Bourse des clubs de football consacre à mon sens le basculement irrémédiable du sport dans l’univers financier : ce sont désormais les actionnaires qui gèrent le club et donc le sport, celui-ci risque d’y perdre définitivement son âme.
Sur un autre plan, si le Comité international olympique (CIO) était moribond en 1960, il représente aujourd’hui une vraie puissance économique.. C’est une puissance dont les revenus, comme on vient de le voir, ont crû de manière exponentielle, lui donnant des responsabilités souvent en déséquilibre avec la faiblesse de la structure de l’institution.
Je terminerai par les rapports du Sport avec la politique
Les hommes politiques ont rapidement compris la force de l’image véhiculé par le sport et l’intérêt qu’ils pouvaient en retirer, pour eux-mêmes ou pour le pays qu’ils gouvernaient. Schématiquement deux attitudes très différentes ont présidé à l’attitude des gouvernements à l’égard du sport, spécialement de Haut niveau :
a) Une prise en mains du mouvement sportif par le pouvoir politique – ce fut le cas des pays de l’Est du temps de l’Union soviétique. C’est encore le cas de certains pays actuellement.
b) A l’opposé, une démarche empreinte de libéralisme permettant le développement du « sport – business ». C’est le cas du sport anglo-saxon, mais aussi de beaucoup de pays occidentaux.
Je voudrais défendre à cet égard la démarche appelée parfois 3ème voie mise en place dans notre pays, au temps du Général de Gaulle: elle me semble la meilleure pour de donner au sportif de haut niveau les moyens d’éviter les excès.
On connaît les débordements auxquels a conduit la politique des pays de l’Est. Souvenons-nous de la RDA et des problèmes de dopage organisé ! Le sport – business me semble devoir aboutir à des résultats du même ordre, et ce d’autant plus que les enjeux financiers gagnent en importance. Cependant, l’évolution vers le « sport-business » semble l’emporter dans le monde malgré quelques contre feux lancés par le Mouvement Sportif International (CIO, Fédérations).
Enfin, pour reprendre une thématique développée dans les « Cahiers français » consacrée au thème sport et société, je noterai que plusieurs sports dans certains pays ont participé à l’affermissement des identités nationales voire conforté l’affirmation des Etats lors des processus colonisation/décolonisation.Je ne voudrais pas traiter des relations du sport et de la politique sans rappeler la dimension universelle du sport et l’une des formes positives qu’elle peut prendre. :Lors du défilé des délégations aux Jeux Olympiques, il n’y avait qu’une seule délégation pour l’Allemagne de l’Ouest et pour l’Allemagne de l’Est lorsque l’unité n’était pas encore faite. De la même manière, La Corée du Sud et la République populaire démocratique de Corée (RPDC) ont décidé de former des équipes conjointes pour participer aux Jeux asiatiques de 2006 et aux Jeux olympiques de 2008.
Mais on ne peut résumer les rapports entre sport et politique par ces quelques réflexions. Beaucoup d’autres aspects mériteraient d’être développés à ce sujet. Je n’insisterai pas sur le problème des droits de l’homme et surtout de la polémique actuelle avec la Chine. Sachez que je n’approuve pas le boycott quelle que soit l’appréciation que l’on peut avoir sur la Chine.
Pour conclure, je pense que si le sport a pris une place importante dans la société, à côté des aspects positifs au plan de l’éducation, de la socialisation et de la santé, d’autres aspects sont menaçants en rapport avec l’hyper médiatisation du sport de Haut niveau, l’importance croissante des aspects économiques et des enjeux politiques. La spécificité du sport qui me semble particulièrement précieuse est l’éthique sportive, et l’on doit encourager et inciter le CIO et les gouvernements à en tenir le plus grand compte.