Monsieur HASQUIN, Secrétaire perpétuel de l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, Ancien Ministre-Président de la Région de Bruxelles-Capitale et de la Communauté française de Belgique.
Feu le regretté Pierre Lazareff, expert en journalisme, se plaisait à évoquer certaines chausse-trapes avec les candidats prêts à se lancer dans la voie exaltante du métier de dire le monde qui va.
Ainsi, il distinguait deux syndromes qu’il commentait à dessein grâce à une expérience parfois désopilante.
Ce qu’il affectionnait avant tout, c’était le titre des articles et la manière de présenter le sujet.
Par exemple le syndrome du temps. Entendons ici le temps du verbe utilisé, bien entendu. Et de jouer avec le mode et avec les différentes natures. Un fait historique, on peut le raconter à l’imparfait, au passé simple mais on peut aussi le raconter au présent.
En revanche un fait d’actualité ne prend pas la même tournure selon que l’on utilise tel ou tel temps. Le journaliste n’est qu’un historien de l’immédiat.
Notre conférencier a choisi le présent dans le titre qui sous-tendra son exposé. C’est un historien de haute qualité et de forte expérience nourrie souvent à l’épreuve des faits. L’Histoire, il l’a vécue dès sa tendre enfance puisqu’il était petit-fils de mineur au cœur du pays noir wallon. Docteur en philosophie et lettres, dès 1970, il enseignait à l’Université Libre de Bruxelles dont il fut également le Recteur pendant 14 ans et le Président du Conseil d’administration pendant 9 autres années.
L’Histoire, il la raconta aussi dans de nombreux ouvrages qui font quasiment tous référence et autorité. Il se pencha sur ce que fut son pays natal, Charleroi aux 17e et 18e siècles. Il élargit ensuite son propos à la Province de Hainaut si chère dans son cœur et chemin faisant, il devint un spécialiste de la Wallonie.
Et l’on ne s’étonnera pas que lorsqu’il accomplit un mandat de Ministre-Président de la Communauté française de Belgique, puisqu’il fut chargé aussi des Relations internationales, qu’il sut se montrer bâtisseur. C’est grâce à Hervé Hasquin que la Wallonie et Bruxelles possèdent une Délégation au numéro 274 du boulevard Saint-Germain, une superbe maison que bien des ambassades nous envient. C’est aussi grâce à Hervé Hasquin qu’une pareille représentation a été implantée à Kinshasa.
Revenons à Pierre Lazareff et à ses petites facéties intelligentes. On pourrait évoquer plus subtilement l’autre syndrome qui lui était cher, celui du point d’interrogation.
Sur ce terrain-là, notre savant rédacteur en chef excellait véritablement. Certains journaux à sensation le prirent au mot dont le plus célèbre à l’époque fut France-Dimanche qui en fit un système. Car le point d’interrogation situé à l’extrémité d’un titre protégeait celui-ci de toute atteinte en diffamation.
Poser la question, dit-on, c’est déjà y répondre. Chez les détectives, on préfère la formule selon laquelle la réponse est déjà dans la question. Par une sorte d’intrigue cérébrale liée à une compréhension détournée, la réalité oscille, aux yeux du lecteur, entre l’improbable et le possible. Les exemples ne manquent pas qui ont bousculé la maison princière de Monaco autant que bien des cours d’Europe et d’ailleurs ainsi que les vedettes de cinéma et de la scène.
L’un d’entre eux provoqua l’extravagance poétique lorsque le même France-Dimanche titra en 1964 : « Georges Brassens est-il atteint d’un cancer ? ». Vexé, le poète répliqua par une chanson qui fit grand bruit où il épinglait les journalistes des gazettes à sensation en un titre badin, Le Bulletin de santé, dont le refrain avait heurté les belles âmes.
Permettez-moi l’audace de vous le transmettre (ou de vous le rappeler) :
Si j’ai trahi les gros, les joufflus, les obèses,
C’est que je baise, que je baise, que je baise
Comme un bouc, un bélier, une bête, une brute,
Je suis hanté : le rut, le rut, le rut, le rut !
La trivialité de ces vers choqua et la polémique enfla. Mais qu’est-ce qui était le plus indécent ? Le titre du journal ou la chanson paillarde ?
Le point d’interrogation est une ponctuation sérieuse.
Notre conférencier en a usé aussi dans son titre. Je gage pourtant qu’à la fin de son exposé, il n’aura pas tout à fait répondu par l’affirmative ni tout à fait par la négative. C’est que toute son œuvre tente à démontrer combien, pédagogue averti, il sait laisser à l’interlocuteur son libre arbitre. Hervé Hasquin est un grand et haut représentant du Libre Examen. Je l’affirme ici en des paroles dénuées de flatterie mais empreintes d’une conviction elle aussi nourrie à l’épreuve des faits : sans Hervé Hasquin, la Laïcité en Belgique ne serait pas ce qu’elle est. C’est-à-dire une morale de l’existence, une forme d’organisation de la société. Et puisque notre homme est historien, il a non seulement fait vivre la laïcité mais il a aussi écrit son histoire. Vivre et agir. Agir et vivre. Vivre, c’est agir.
Auteur reconnu et apprécié, en dehors d’ouvrages denses, il a publié bien entendu de nombreux articles, notamment sur l’histoire de Belgique.
Il est donc parfaitement habilité à nous entretenir d’un royaume qui est aussi un Etat fédéral dont l’interrogation pèse sur tous ses présents, hypothéquant du même coup son avenir.
Je pourrais encore insister sur d’autres qualités comme l’art oratoire, la faconde, la passion d’expliquer, le souci du terme juste et la précision des développements, la volonté de partager ou de faire partager certains points de vues, des convictions qui harmonisent une éthique humaniste au sens propre du terme. Mais tout cela, vous aurez l’occasion de l’apprécier dès qu’il s’emparera du micro.
Laissez-moi encore vous confier un sentiment personnel. Cet homme qui va s’adresser à nous et qui est né en 1942 a déjà au moins accompli deux vies. Peut-être davantage l’estimera-t-il. On lui reconnaît en effet deux grandes périodes : son travail universitaire d’une part, ses mandats politiques de l’autre. Depuis quelques années, il en a entamé une troisième puisqu’il est Secrétaire perpétuel de l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, fonction qu’il embrassa le 17 novembre 2007. Cela fait moins de deux ans et cependant, plus personne déjà n’imagine cette noble Institution en dehors de celui qui la dirige.
Je prends le pari que cette troisième œuvre d’une vie bien remplie sera finalement la plus importante, celle qu’il laissera dans l’histoire de son pays lorsque l’heure du bilan surviendra parce que justement, la tâche qui l’occupe actuellement a été nourrie à l’épreuve des faits c’est-à-dire des deux autres tranches de vie que j’ai rapidement brossées devant vous.
Quand Hervé Hasquin regarde par la fenêtre de son bureau à Bruxelles, son horizon est totalement couvert par le Palais royal.
Je veux ici l’imaginer debout, observant cette somptueuse demeure. Et méditant.
C’est peut-être le fruit de cette méditation qu’il va nous livrer ce soir.