Monsieur Joseph RIVOLIN, Historien, directeur des Archives et des Bibliothèques de la Région autonome du Val d’Aoste , en présence de Monsieur Auguste Rollandin, président du gouvernement régional de la Vallée d’Aoste.
Mesdames, Messieurs,
Tout d’abord, merci de m’avoir invité aujourd’hui parmi vous pour vous parler ce petit territoire de montagne situé au cœur des Alpes qu’est notre région, carrefour millénaire de la civilisation et des peuples d’Europe, mais aussi creuset linguistique et culturel.
Au-delà de toute considération, comme Monsieur Rivolin l’a déjà rappelé lors de son intervention, je crois que la Vallée d’Aoste peut être considérée aujourd’hui comme un petit « laboratoire politique », et ce, justement en vertu de son Statut spécial d’autonomie, cette particularité qui nous a été reconnue par l’État italien en 1945 et qui démontre, jour après jour, toute l’actualité de sa valeur.
Grâce aux compétences que le Statut spécial nous a accordées, nous avons en effet pu créer un système de Gouvernement original, adapté aux exigences et aux caractéristiques de notre Région, respectueux des différences et ouvert aux changements. Nous avons bâti un système d’éducation bilingue, valorisé notre patrimoine culturel, réalisé d’importantes initiatives pour l’épanouissement économique, pris soin de notre territoire et conservé nos villages de haute montagne. Et si les Régions autonomes sont malheureusement parfois vues comme des Régions privilégiées, nous répondons qu’elles sont, bien au contraire, des modèles d’autogouvernement, fondés sur la valorisation de la responsabilité de chacun, administrateur comme citoyen : un objectif qui peut être atteint grâce à l’implication du citoyen – qui opère des choix – et à l’obligation, pour les administrateurs et les hommes politiques, de dialoguer avec leur communauté.
De ce point de vue, je peux affirmer que c’est le particularisme culturel et linguistique de notre Vallée – que Monsieur Rivolin vous a illustré – qui est la principale motivation du régime d’autonomie reconnu à la Vallée d’Aoste par la loi constitutionnelle italienne. Cette spécificité, les Valdôtains l’ont à plusieurs reprises réaffirmée au cours de leur histoire. Ils se sont battus pour la défendre durant la période fasciste et ils veillent toujours à la sauvegarder dans les débats politiques qui agitent actuellement l’Italie. Et ce particularisme constitue aujourd’hui encore la base essentielle de notre spécificité politique, qui préserve le patrimoine d’idées et de valeurs sur lequel se fonde l’existence de la communauté valdôtaine. Notre véritable richesse nous vient de ces caractéristiques, qui sont le fruit de notre histoire et de notre évolution, tant culturelle qu’institutionnelle.
Notre Gouvernement déploie en effet des efforts considérables pour soutenir et promouvoir la francophonie valdôtaine, dans le cadre de l’administration, de la société, des activités culturelles organisées sur le territoire et, en tout premier lieu, dans le système scolaire, au sein duquel, en vertu du caractère officiel des deux langues – le français et l’italien –, l’emploi du temps hebdomadaire accorde le même nombre d’heures à chacun des deux enseignements, et ce, dans toutes les écoles, de la maternelle aux instituts supérieurs. Dans ce cadre, nous avons mis en place une initiative particulièrement significative, la possibilité pour les élèves d’obtenir à la fin de leurs études secondaires un diplôme bivalent, franco-italien, appelé ESABAC. Ce dernier a été décerné pour la première fois à l’issue de la session d’examen 2011 et peut actuellement être préparé dans cinq lycées valdôtains. Nous sommes en effet convaincus que le multilinguisme offre à nos jeunes une véritable ouverture d’esprit, un enrichissement culturel et humain, ainsi qu’un outil supplémentaire en vue de leur insertion professionnelle.
Notre jeunesse et la formation qu’elle reçoit occupent en effet une large part de nos pensées et, de ce point de vue, le rôle de l’Université de la Vallée d’Aoste est fondamental. Nous apprécions donc particulièrement le fait que, depuis 2008, elle ait pu intégrer l’Agence Universitaire de la Francophonie. Seule université italienne à avoir eu cette chance, elle peut ainsi collaborer – dans les domaines de la recherche et de la formation – avec les plus de 600 universités des cinq continents qui font partie de cette même organisation et la mobilité de ses étudiants et professeurs s’en trouve facilitée d’autant. De plus, toujours en 2008, une Chaire Senghor de la Francophonie a été créée auprès de la Faculté des sciences politiques et des relations internationales de notre université : l’une des douze Chaires Senghor existantes dans le monde entier, elle est la seule en Italie. La Chaire de la Vallée d’Aoste se définit notamment comme un espace de réflexion universitaire sur la Francophonie, dans sa dimension internationale, puisqu’elle n’est pas exclusivement consacrée à la recherche, mais se présente aussi comme un espace de débat, un lieu de formation et un milieu d’accueil pour les étudiants, les gestionnaires et les acteurs politiquement engagés dans le développement de la Francophonie. Notre université devient ainsi un pôle d’excellence, non seulement dans les domaines culturel et linguistique, mais aussi en raison de son approche en matière de recherche sur les sciences politiques et les relations internationales, la diversité et le dialogue des cultures : ce sont d’ailleurs là les thèmes centraux du Cadre stratégique décennal de la Francophonie. Ces initiatives contribueront, certes, à l’insertion de l’Université de la Vallée d’Aoste dans ce prestigieux réseau international, mais nous souhaitons aussi qu’elles favorisent l’essor du français au niveau local.
Par ailleurs, pour impliquer les jeunes aussi bien que le grand public, nous organisons tout au long de l’année des expositions, des spectacles et des initiatives en langue française, nous adhérons à la Journée internationale de la Francophonie, en proposant un riche programme d’activités, et nous soutenons la présence de l’Alliance française en Vallée d’Aoste. Nous accordons d’ailleurs une attention toute particulière à la valorisation du français par les moyens d’information et de communication dont, notamment, la radio et la télévision. A ce propos, afin de promouvoir ultérieurement la langue et la culture françaises, à l’occasion du passage de notre région à la télévision numérique en 2009, l’Administration régionale avait obtenu du Ministère italien du développement économique une fréquence pour la retransmission de programmes en français. A cet effet, nous avons donc mis sur pied un réseau de télévision numérique terrestre, que nous mettons gratuitement à la disposition des chaînes désireuses de diffuser leurs programmes dans notre région. Et hier, 6 février, j’ai justement signé à Aoste l’accord pour la retransmission dans notre Vallée de TV5 Monde, avec la directrice de cette chaîne, Marie-Christine Saragosse. Depuis hier soir, donc, tous les Valdôtains peuvent regarder la première chaîne généraliste mondiale en langue française. Toutefois, si TV5 Monde a tout de suite répondu favorablement à notre proposition, France Télévisions – à qui nous avons proposé le même accord en vue de la diffusion de France 2 et France 3 – semble au contraire gérer la question d’un point de vue strictement économique et nous demande une contribution financière, sans prendre aucunement en considération l’aspect culturel de cette opération. Cette attitude nous déçoit d’autant plus profondément que, comme vous le savez bien, la télévision joue un rôle crucial dans le maintien et le développement du français, notamment chez les jeunes. France Télévisions semble non seulement ignorer totalement le rôle de la Vallée d’Aoste en tant que porte-parole de la Francophonie en Italie, mais aussi – ce qui est paradoxal à nos yeux – ne pas considérer que sa décision risque d’affaiblir le rayonnement du français en Europe.
Pour ce qui nous concerne, nous suivons avec intérêt toute initiative liée à notre appartenance à la grande famille francophone. Au plan international, nous entretenons des rapports suivis avec l’Organisation internationale de la Francophonie et participons en tant qu’invité spécial aux Sommets de la Francophonie : la Vallée d’Aoste était présente au premier de ceux-ci, en 1986 à Paris, et j’ai personnellement pris part aux deux derniers, en 2008 à Québec et en 2010 à Montreux. Je vous avouerais en passant que nous souhaiterions apporter une contribution encore plus active aux diverses initiatives de l’OIF.
Toujours en matière de francophonie, je tiens à souligner que, depuis 2005, leGouvernement valdôtain adhère à l’Association Internationale des Régions Francophones, organisation représentative des pouvoirs régionaux, qui rassemble actuellement plus de 133 collectivités issues de 23 pays et dont le but est d’établir entre les communautés francophones des rapports de coopération, ainsi que des échanges d’information et d’expériences ayant trait à différents domaines. C’est d’ailleurs dans le cadre de l’AIRF qu’en qualité de rapporteur, j’ai participé à un séminaire de formation, au mois de novembre 2008, à Kinshasa.
La Vallée d’Aoste est également membre de l’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF), tandis que notre capitale régionale, la ville d’Aoste, est présente au sein de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) depuis la création de celle-ci, en 1979, et que de nombreux Valdôtains adhèrent à l’Union de la Presse francophone (UPF), qui a une section en Vallée d’Aoste.
Parallèlement, la Vallée d’Aoste maintient des liens importants avec ses émigrés installés dans les pays francophones et, en particulier, en France, à Paris, en raison du grand nombre de Valdôtains qui y ont émigré entre la fin du XIXe siècle et les années Quarante du XXe siècle. Cette émigration nous a notamment permis de garder le contact avec la francophonie pendant la période fasciste, lorsque les autorités italiennes avaient interdit aux Valdôtains d’utiliser le français.
Bref, je crois pouvoir affirmer que notre pluralisme linguistique et culturel peut constituer une référence pour l’intégration. Le dialogue, la tolérance, le respect de la diversité nous aideront à valoriser les particularités de chacun et à proposer un modèle de cohabitation des peuples et des cultures, démocratique et enrichissant. Parallèlement, ils permettront aux nouvelles générations de trouver dans leur spécificité les ressources nécessaires pour envisager l’avenir avec courage et espoir, ce dont nous avons énormément besoin de nos jours.