Introduction d’Alban Bogeat
« Excellence, M. l’Ambassadeur d’Albanie, cher M. Dritan Tola,
M. le délégué général de Wallonie Bruxelles, cher Marc Clairbois,
Chers Membres du Cercle Richelieu Senghor,
Chers Amis du Cercle,
Je suis heureux de vous accueillir, pour cette soirée consacrée à l’Albanie.
Une première dans l’histoire du Cercle Richelieu Senghor, cercle d’échange et de réflexion sur la francophonie et le dialogue des cultures, qui a célébré ses 50 ans en 2021.
Je tiens à remercier tout particulièrement M. l’Ambassadeur d’avoir accepté notre invitation,
Je remercie également Mme Claude Vivier le Got, présidente de la Fédération européenne des Écoles et fidèle membre du Cercle Richelieu Senghor, qui est à l’initiative de cette rencontre.
L’Albanie si proche, et pourtant si mal connue des Français…
un pays qui a une longue tradition de francophilie, qui a produit de grands écrivains de langue française, et des dirigeants francophones, encore de nos jours.
Le nom d’Albanie évoque la blancheur des rivages,
Mais pour ses habitants, c’est Sqiperia : le pays des aigles, comme le symbolise le drapeau : aigle noir sur fond rouge.
Nous avons hâte d’en savoir plus !
Attardons-nous un instant sur les noms qui ont été choisis pour les tables, j’en retiendrai 3 :
Georges Castriote, dit Skanderbeg
(héros national albanais, qui a combattu les Ottomans au XVe siècle)
Skanderbeg : une déformation du nom que lui ont donné les Turcs (Iskander bey), qui signifie « prince Alexandre » en référence à Alexandre le Grand : prestigieuse comparaison…
J’ai découvert qu’il existe une place Place Skanderbeg à Paris, dans le 19ème arrt…
Mère Teresa un nom familier, mais qu’on n’associe pas forcément à son pays d’origine.
(religieuse catholique albanaise, prix Nobel de la paix 1979, et canonisée Sainte Teresa en 2016)
Et enfin Ismaïl Kadaré
(grand écrivain albanais, naturalisé français, membre de l’Académie des Sciences morales et politiques, Grand-Officier de la Légion d’honneur, candidat à maintes reprises au prix Nobel de littérature)
Pourquoi l’Albanie est-elle méconnue ? Elle a traversé une longue période d’isolement diplomatique.
En revanche elle fait preuve aujourd’hui d’une présence très active au sein des instances internationales. J’en citerai quelques exemples :
L’ONU tout d’abord : l’Albanie vient d’entrer au conseil de sécurité des Nations Unies en tant que membre non-permanent. Je vous rappelle qu’il y a 5 membres permanents du conseil de sécurité (dont la France) et 10 membres désignés pour 2 ans.
L’Albanie est par ailleurs membre
- de l’OIF, Organisation internationale de la Francophonie depuis 1999,
- de l’OTAN depuis 2009,
- de l’OSCE, l’Organisation pour la Sécurité et la coopération en Europe dont elle a assuré la présidence en 2020.
Enfin l’Albanie est candidate à l’entrée dans l’UE.
Je n’en dirai pas plus sur l’Albanie,
Tout à l’heure je présenterai SE avant de lui donner la parole.
Auparavant, et comme de coutume, je voudrais évoquer l’actualité de la Francophonie depuis notre dernière rencontre.
Une actualité très fournie, mars étant traditionnellement le mois international de la francophonie.
J’évoquerai donc seulement quelques éléments majeurs :
Tout d’abord la jeunesse qui a été au cœur de ce mois de la Francophonie avec la Charte du Jeune ambassadeur francophone, projet porté par Marie-Béatrice Levaux (fidèle membre du Cercle), à la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts mais aussi à Dubaï, au sein du pavillon France de l’Exposition universelle où l’OIF organisait le 20 mars une journée pour la Francophonie de l’avenir, ou encore dans les locaux de l’Assemblée nationale le 30 mars avec l’APF.
2ème grand sujet la diversité linguistique et la place de la langue française au sein des instances européennes qui a fait l’objet d’une conférence ministérielle à Pau le 15 mars dans le cadre de la PFUE.
J’ai noté l’engagement aux côtés de la France des pays latins (Italie, Espagne, Belgique et plus précisément Fédération Wallonie-Bruxelles, Roumanie), mais aussi des petits Etats (Andorre, Malte, et en Allemagne le land de Sarre).
3ème grand thème : la francophonie économique pour laquelle un pas très important a été franchi les 28 et 29 mars à Tunis où a été scellée l’Alliance des patronats francophones à l’initiative du MEDEF, et sous l’impulsion de son VP Fabrice le Saché que nous avons reçu ici même en mars 2019. Une structure est créée, ce qui est un gage de pérennité. Elle regroupe 26 pays.
Je voudrais souligner aussi que nos lauréats du Prix Richelieu Senghor ont été extrêmement actifs…
Notre lauréat 2021 Karl Akiki a été omniprésent à travers des événements au Liban mais aussi à l’étranger (Italie : Université de Trieste, Allemagne : Université de la Sarre).
Les lauréats précédents n’ont pas été en reste: Jan Nowak, Mickaël Vallet, sans oublier le Projet Voltaire (lauréat 2015), qui a organisé un concours d’orthographe avec notre ministère de la Culture.
Enfin je citerai la remise du Prix littéraire des cinq continents dont c’était la 20ème édition, au siège de l’OIF à Paris le 31 mars. L’occasion de récompenser de jeunes et talentueux écrivains qui incarnent toute la diversité de la francophonie : cette année un Tunisien, Karim Kattan, et un Franco-vénézuélien, Miguel Bonnefoy.
Si le Cercle ne décerne pas de Prix littéraire, ceci me permet cependant une transition pour vous présenter trois livres écrits ou co-écrits par des membres du Cercle Richelieu Senghor :
- Plaidoyer pour une francophonie citoyenne (Marie-Béatrice Levaux)
- Langue française et francophonie d’hier et d’aujourd’hui (Josseline Bruchet – AFAL)
- La gouvernance linguistique des universités et établissements d’enseignement supérieur (ouvrage collectif avec la contribution de Me Jean-Claude Amboise)
Je vous enverrai les références de ces trois ouvrages.
Je vous laisse maintenant à vos échanges que je souhaite chaleureux et enrichissants… »
Intervention de SE M. Dritan Tola :
« Monsieur le Président du Cercle Richelieu-Senghor, cher Monsieur Bogeat,
Madame la Présidente d’honneur du Cercle,
Monsieur le Délégué général de Wallonie-Bruxelles, cher Marc,
Chers membres du Cercle Richelieu-Senghor,
Chers collègues et amis de la Francophonie, de la langue française, de
l’Albanie, et de la France aussi, car nous nous trouvons aujourd’hui à l’un
des plus illustres lieux de la République française, le Sénat (même si je dois
dire que ce même lieu contient sur l’un de ses murs une faute de français),
Tout d’abord vous dire l’honneur que vous m’avez et que vous avez fait à
mon pays et le plaisir qui est le mien d’être ce soir parmi vous et de parler
de mon pays et de ses liens avec la langue française et la France devant cette
honorable assistance.
Francophonie
• L’Albanie a fêté cette année le 23e anniversaire de son adhésion au sein
de la grande famille de la Francophonie. Il y a en effet incontestablement
une francophonie albanaise, active, présente dans le coeur des Albanais et
toujours croissante, ce dont je me réjouis grandement.
• Cette francophonie albanaise se développe tout d’abord au travers de
l’apprentissage de la langue française, mais elle gagne aussi les esprits et
les actions de nombreux Albanais, au travers des échanges, des initiatives
diverses dans l’espace francophone, et notamment dans l’Europe centrale
et orientale, grâce à un grand nombre d’instruments politiques, culturels,
scolaires, économiques, humains etc., qui ne signifient pas seulement un
engagement de l’instant, mais surtout un gage pour l’avenir de la
francophonie et de ses valeurs en Albanie, et une contribution de mon
pays pour l’espace et l’action francophones.
• Depuis son adhésion à la Francophonie, l’Albanie s’est progressivement
impliquée et elle s’est engagée plus avant dans l’action menée par
l’Organisation internationale de la francophonie.
• Très active au sein de la Francophonie institutionnelle aussi, l’Albanie
s’est vu attribuer, de 2015 à 2020, la présidence du Comité ad hoc de
l’OIF sur les adhésions et les modifications de statut, ainsi que
l’importante tâche de la présidence du Groupe de travail et de réflexion
sur le fonctionnement des instances de la Francophonie et sur les
adhésions et l’élargissement de l’organisation.
• Nous nous réjouissons de l’attractivité de la Francophonie, comme l’ont
démontré les candidatures à l’adhésion provenant de nombre de pays.
• Et nous restons très attachés aux valeurs et aux principes qui constituent
les raisons d’être de la Francophonie, telles la promotion de la langue
française et la diversité culturelle et linguistique et la promotion de la
démocratie et des droits de l’Homme, ainsi que les valeurs du
multilatéralisme.
• Car, la francophonie est un humanisme intégral, comme disait l’un de ses
pères fondateurs. Elle est un état d’esprit, ajouterais-je.
• En effet, l’Albanie développe diverses actions et divers programmes dans
les domaines de l’enseignement de la langue, de l’éducation, des
échanges universitaires et des jeunes, de la culture, des médias, de la
formation des fonctionnaires et diplomates, de la promotion des droits de
l‘Homme et de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la promotion
du développement et des relations économiques, etc.
• La Francophonie est un précieux instrument pour la promotion des
aspirations européennes de l’Albanie et ses efforts dans la voie de
l’adhésion à l’Union européenne. Nous avons en Albanie des
programmes de formation en langue française pour les fonctionnaires de
l’administration albanaise responsables des discussions et des futures
négociations à l’adhésion à l’Union européenne. Car, 2022 est une année
importante pour le processus d’intégration et de future adhésion de
l’Albanie à l’UE, mais j’en parlerai plus tard.
• La Francophonie, y compris celle institutionnelle, représente aussi pour
l’Albanie un extraordinaire espace de coopération et d’échanges sur la
scène internationale, notamment face aux multiples et cruciaux défis que
doit relever aujourd’hui l’ordre mondial et le multilatéralisme.
• Mais, elle est aussi un espace de coopération économique. Par exemple,
grâce au français, nous tissons de très importants et très concrets liens
dans le monde des affaires. Le président du FFA (Forum francophone des
Affaires) qui n’a pas pu venir ce soir, aurait pu témoigner des activités
que nous menons à cet égard et des coopérations que nous avons établis
entre les opérateurs économiques albanais et francophones en Europe.
Par ailleurs, ensemble avec le FFA, l’Albanie sera à l’origine d’une filiale
« FFA-Europe » pour porter plus en avant ces liens francophones dans
l’espace européen. A un niveau plus régional, l’Albanie développe avec
les collègues de la Roumanie un réseau de femmes entrepreneures
francophones de l’Europe du Sud-Est, avec des activités très concrètes et
surtout des résultats concrets.
• Mais, nous n’oublions toujours pas que, naturellement et avant tout, à la
base il y a la langue. C’est, bien sûr, se sentir appartenir à une
communauté qui a en partage cette extraordinairement belle langue
française – permettez-moi de rappeler ici cette expression de Camus que
nous connaissons tous “Ma patrie, c’est la langue française” -, mais qui,
à travers cette langue, a aussi en partage beaucoup d’autres choses, ici une
histoire commune, là une culture ou un destin.
• Une langue que nous défendons aussi en Albanie, même si la
francophonie albanaise n’est pas exactement la même que celle des pays
dont la langue maternelle ou l’une des langues maternelles est le français,
comme la France, la Belgique, la Suisse, le Canada, ou d’autres pays qui
ont eu une histoire spécifique avec le français, comme les pays de
l’Afrique ou des pays de l’Amérique centrale. Je pense ici à la
francophonie albanaise comme à celle roumaine ou d’autres pays de
l’Europe sud-orientale, et à ce que le français véhiculait et véhicule
encore comme idées de progrès.
• Même pendant les temps plus durs, et je me réfère ici à la dictature
communiste en Albanie qui a duré 45 ans, de la fin de la 2eme Guerre
Mondiale jusqu’à 1991, pendant laquelle le français était la première
langue étrangère enseignée fans le pays, grâce paradoxalement au fait que
le dictateur était un francophone et francophile pour avoir étudié et vécu
à Montpellier, Paris et Bruxelles dans les années ’30. Je m’en souviens
moi-même pour avoir pris mes premières leçons de cette belle et
extraordinaire langue pendant cette période. Le français était à cette
époque une sorte de fenêtre ouverte au monde libre, celui des idées et de
la culture, une représentation ou presqu’une incarnation des libertés pour
des milliers d’Albanais francophones à l’époque.
• Mais, aujourd’hui ce n’est pas pour autant facile. Après une invasion de
l’anglais à la suite de la chute du communisme, je me réjouis de dire que
nous constatons un petit regain du français à travers surtout des centaines
et milliers d’étudiants albanais qui viennent étudier en français en France,
en Belgique, en Suisse, et ailleurs, et aussi le fait qu’il y a chaque année
plus de jeunes albanais qui s’inscrivent aux cours de langue française aux
alliances françaises en Albanie. Ces faits peuvent être vus comme une
sorte de gage de garantie pour que cette francophonie puisse perdurer.
• Mais le combat n’est pas facile, et la victoire du plurilinguisme est
malheureusement loin d’être gagnée. Je parle de combat, mais il ne faut
pas voir la Francophonie comme un combat d’arrière-garde. La langue
française est la langue des combats pour l’émancipation. Mais, elle doit
aussi proposer, dans le respect du plurilinguisme, une nouvelle
interprétation du monde, et le français doit être la langue qui invente et,
si possible, crée le monde de demain.
• Il faut dire aussi que le français se construit dans le plurilinguisme. Il ne
viendrait à l’idée de personne d’avancer que démocratie nationale et parti
unique sont compatibles. De la même manière, démocratie internationale
et langue unique, avec le tout en anglais, sont incompatibles.
Albanie
• Or, la francophonie albanaise n’est pas construite dans un terrain vide,
elle est née et a grandi dans un pays avec une histoire, avec une culture
et avec des gens qui parlent en français.
• Je vous demande donc pardon à l’avance, car vous serez assommés par
la tentative du prosélytisme albanais que votre humble serviteur,
l’ambassadeur de la République d’Albanie, vous fera faire subir pendant
quelques minutes.
• Et bien, maintenant quelques mots sur l’Albanie.
Je vais commencer par quelques éléments pour situer l’Albanie dans la
géographie et dans l’histoire :
Géographie
Je vais commencer par quelques éléments pour situer l’Albanie dans la
géographie et dans l’histoire
• L’Albanie est un pays d’Europe du Sud-Est, à l’Ouest de la péninsule
balkanique. et couvre une superficie de presque 29.000 km2, un peu plus
petite que la Belgique.
• Nous partageons les frontières au nord avec le Monténégro, au Nord-Est
avec le Kosovo, à l’Est avec la Macédoine du Nord, et au Sud et Sud-Est
avec la Grèce, et en face, de l’autre côté de l’Adriatique, nous avons les
côtes du Sud de l’Italie.
• A l’ouest, l’Albanie est bordée par les mers Adriatique et Ionienne.
• La géographie de l’Albanie rappelle par certains aspects la Corse. 400 km
de plages de sables et de roches alternent avec montagnes et lacs.
• La population est d’un peu moins de 3 millions d’habitants dans le pays,
mais avec presque autant d’Albanais dans la diaspora, 95% d’Albanais,
3% de grec et 2% divers.
• La langue albanaise est une langue indo-européenne et, elle représente
une branche séparée de cette famille. Elle a 36 lettres (une langue
phonétique) et utilise l’alphabet latin. La langue albanaise est également
utilisée (écrit et parlé) au Kosovo, au Monténégro, en Serbie et en
Macédoine du Nord, où vivent plus de 2 millions d’Albanais ethniques.
• Le drapeau national de la République d’Albanie est rouge avec un aigle
noir à deux têtes au centre.
Histoire
• L’histoire des Albanais et de l’Albanie est très ancienne, et en même
mouvementée et parfois tragiques, comme au fond l’histoire de presque
toutes les nations européennes, à quelques exceptions près.
• Les Albanais sont des descendants des Illyriens. Les tribus illyriennes
s’étiraient au long de la partie occidentale des Balkans.
• Mais, les terres albanaises ont connu, à travers les siècles, la présence et
l’influence des civilisations et des cultures grecques et romaines, dont on
trouve beaucoup de vestiges et de témoignages encore aujourd’hui, avec
de très beaux sites archéologiques de villes antiques bien connues de cette
époque, et qui existent donc encore aujourd’hui, comme Dyrrachium
(Durrës), où vous vous rendrez par ailleurs, ainsi que Apollonia – sur
lequel Frédéric Mitterrand est actuellement a fait un film, il s’agit de
l’histoire d’un archéologue français, Léon Rey, qui a mené de très
importantes fouilles dans ce site, pendant plus de 18 ans entre les deux
guerres mondiales. Par ailleurs, l’une des tables ce soir porte le nom
d’Apollonie.
• Il y aussi Butrint (ou Buthrotum), le lieu où Racine situe l’action de sa
tragédie Andromaque en tant que siège du palais de Pyrrhus, vous savez
l’argument de la pièce de Racine se résume selon la formule anecdotique :
« Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui
aime Hector, qui est mort.. !!! » Donc tout ceci se passe à Butrint, dans le
sud de l’Albanie.
• Après la chute de l’Empire romain, l’Illyrie, où se trouve l’Albanie
actuelle, est restée sous l’Empire byzantin. Dans les années et siècles à
venir, elle a subi l’invasion de plusieurs tribus barbares, comme les goths,
les avares, etc., et plus tard des slaves.
• Elle a également connu le passage des Normands pendant plus d’un demisiècle
à l’onzième et douzième siècles, et qui a laissé des traces en
Albanie, mais aussi en France et, vous allez me dire que c’est curieux,
dans la ville Tonnerre, en Bourgogne, oui, oui, Tonnerre qui a un petit
lien historique avec l’Albanie, car un personnage important lié à
Tonnerre, Marguerite de Bourgogne (1250-1308), comtesse de Tonnerre,
seconde épouse de Charles Ier d’Anjou (frère de Saint-Louis), était reine
consort de Naples, de Sicile et…., d’Albanie, oui reine d’Albanie aussi, à
partir de 1272. C’est elle qui a fondé en 1293 l’Hôtel-Dieu de Tonnerre
où elle est enterrée, et depuis 1308, une messe est célébrée chaque année
en son honneur. Et donc, une reine d’Albanie se trouve bel et bien enterrée
à Tonnerre, et par ailleurs, j’ai eu moi-même l’occasion à plus d’une
reprise de participer à cette messe et de me recueillir devant la tombe de
Marguerite de Bourgogne, « mon ancienne reine ».
• Les Vénitiens ont également eu nombre de possessions en Albanie
occidentale, le long du littoral.
• L’invasion ottomane (à partir du XIVe siècle) a été pendant plus d’un
quart de siècle contenue par le héros national Georges Castriote, connu
sous le nom de Scanderbeg, et que le Pape de l’époque a qualifié
« d’athlète du Christ ».
• Comme pour une grande partie des peuples des Balkans, suivent plus de
4 siècles d’occupation ottomane, dont l’Albanie s’affranchit enfin en
1912 après une lutte d’indépendance et de renaissance nationale.
• Pendant les années de la Première Guerre mondiale, l’Albanie a été
transformée en un champ de bataille avec la présence de puissance
européennes, dont la France avec l’Armée française de l’Orient du
général Sarrail, qui s’est installée dans la région de Korça (dont une autre
table porte aussi le nom ce soir) et qui a donné naissance au fameux lycée
français de Korça, berceau de la francophonie et des élites intellectuelles
et littéraires albanaises du XXe siècle.
• Après des années d’instabilité politique, l’Albanie devient royaume avec
Zog Ier, roi des Albanais, qui a mené des réformes de consolidation de
l’état et de modernisation et d’émancipation de la société albanaise.
• Pendant la Deuxième Guerre mondiale, l’Italie fasciste envahit l’Albanie
(ce qui inspire aussi Hergé pour son album “Le Sceptre d’Ottokar, avec
le roi Muskar XII qui serait partiellement inspiré par le roi Zog). Les
allemands prennent la place des italiens en 1943, et l’Albanie est enfin
libérée en novembre 1944.
• La libération est suivie de l’instauration du régime communiste de la
dictature du prolétariat, d’une des formes les plus dures du communisme
dans le monde, qui a duré 45 ans.
• Depuis 1991, l’Albanie est un régime démocratique parlementaire qui
aspire à devenir membre à part entière de l’Union européenne. Elle
nourrit des liens privilégiés avec les Etats membres de l’Union
européenne, les USA et d’autres pays.
• Elle est membre de l’OTAN depuis 2009, pays candidat à l’adhésion
depuis 2014, et se prépare en 2022 au processus d’ouverture de
négociations à l’adhésion, négociations que, une fois entamées, elle sait
qu’elles seront et devront longues et très engageantes.
Relation bilatérale
• Je reviens maintenant à un autre point que je voulais partager avec vous,
c’est la relation bilatérale entre l’Albanie et la France. Cette relation est
globalement forte et excellente, et c’est vrai qu’elle devient plus forte et
meilleure chaque année. Elle est bien enracinée dans l’histoire et dans le
présent.
• Je pourrais vous mentionner plusieurs témoignages, à commencer par
l’intensité des visites, rencontres et échanges politiques au plus haut
niveau, les échanges dans le domaine économique, militaire, culturelle,
la forte augmentation du nombre des touristes français en Albanie, mais
aussi de celui des étudiants albanais en France, et la coopération, ainsi
que la signature d’accords et de contrats.
• Les acteurs et les opérateurs de la consolidation de cette relation sont
nombreux, aussi bien publics que privés.
• Je suis convaincu que toute rencontre contribue à une meilleure
connaissance mutuelle et un renforcement de cette relation.
• Une meilleure connaissance de votre pays, la France, qu’on aime
beaucoup dans mon pays, même si l’amour est parfois asymétrique. Et
moi-même je suis très honoré et heureux de représenter mon pays auprès
de ce grand et beau pays que j’aime et que je chéris comme ma deuxième
patrie. Je le vois comme un immense privilège de pouvoir travailler parmi
et avec ces formidables femmes et hommes que sont les Français, dont
les exceptionnelles qualités rendent un particulier service à cette France
éternelle pour qui un grand homme de lettres roumain de surcroît, Eugène
Ionesco, avait, même à un moment dramatique et si difficile en ce juin
1940, les mots suivants quand il écrivait à un ami français :
« […] Même si, par malheur pour ce monde égoïste, cruel et stupide,
la France devait mourir, […] elle s’est sauvée spirituellement. Péguy
souhaitait à la France le salut spirituel même si cela entraînait la mort
temporelle. Le désastre dont nous souffrons atrocement est dû à la
faute de la France. Fatiguée elle n’était plus présente dans le monde,
elle ne croyait plus à la nécessité de sa présence et de sa mission. La
Bête s’est ruée sur l’Esprit malade. Ce qui se passe depuis vingt ans
dans le monde n’est que le symbole et le commencement de ce qui
pourrait se passer si la France ne peut plus marquer sa présence. Et
ce serait la punition du monde de l’avoir assassinée. Mais le monde
peut-il vraiment assassiner son âme ? »
• Mais, ces rencontres contribuent aussi également à l’image de l’Albanie
en France, pays qu’on méconnaît ou bien que l’on réduit parfois et très
injustement, j’insiste très injustement et parfois pour des raisons
purement politiques ou partisanes, à des stéréotypes ou à des poncifs pas
toujours sympathiques, mais qui sont, je vous assure, en très grande partie
faux.
• Et vous m’excuserez si je ne ferai pas de détours sur les clichés, sur le
tout-bashing, sur les représentations manichéennes, sur ce que
j’appellerais cette dictature du cliché et de l’intox, qui attise la haine de
l’autrui, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, de l’intérieur comme de
l’étranger, et qui exhorte le mépris en cherchant ses victimes expiatoires.
• Car, aujourd’hui, la manipulation triomphe, aussi à cause d’internet, des
intox, des fake news, etc., mais pas seulement de tout cela. Et parfois, on
vit dans un monde imaginaire, où tout est mélangé : on ment, et on croit
à ses propres mensonges.
• Ces phénomènes peuvent malheureusement nous influencer nous tous.
Le danger existe aussi que les intox, les fake news, les fausses opinions
influencent aussi les dirigeants et les médias dans tous nos pays, et qui
sous cette pression ne font parfois que réagir et n’ont plus le temps de
réfléchir.
• Vous m’excuserez ces moments peut-être pathétiques, mais en tout cas
sincères.
Europe et Histoire
• Puisque nous parlions d’histoire et que j’ai mentionné Skanderbeg, qui
est devenu un vibrant symbole de la conscience collective des Albanais,
telle une Jeanne d’Arc des Français, icône de leur résistance.
• Skanderbeg est à la fois un personnage albanais et européen, je dirais un
héros européen, car il représente des valeurs communes à nous tous. Audelà
de l’aspiration nationale albanaise, il incarne la défense de la liberté
et la force de l’union.
• Mais Skanderbeg est aussi pour nous un héros à la fois albanais et
européen, représentant les valeurs communes aux Albanais, aux Français
et aux Européens. Ces valeurs sont incarnées, dans l’Albanie
d’aujourd’hui, par la grande l’aspiration européenne des Albanais, non
pas comme un but en soi, mais parce que l’Europe progressiste, celle de
ses pères fondateurs, représente pour les Albanais le meilleur exemple de
ces valeurs.
• Je vais même élargir un peu le cadre du sujet d’intégration et adhésion
européenne de mon pays sur la région des Balkans, ou plus précisément
ce qu’on appelle les Balkans occidentaux, qui comprennent géohistoriquement
5 pays de l’ex-Yougoslavie, plus l’Albanie.
• Le terme Balkans est malheureusement souvent associé à la guerre et a
l’impossibilité de tracer des frontières stables et acceptées par les Etats
ou les peuples qui composent cette région. Le mot Balkans a même donne
un terme négatif dans la politologie, “Balkanisation” qui signifie
émiettement politique, avec un grand potentiel de contamination et de
guerres en Europe, comme cela a été le cas de la Grande Guerre en 1914
(attentat de Sarajevo), ou pendant les guerres en ex-Yougoslavie de 1991
à 1999). Churchill disait que “les Balkans produisent plus d’histoire
qu’ils ne peuvent en consommer”.
• Cette expression peut toujours redevenir d’actualité si nous perdons de
vue cette région et surtout sa perspective européenne. D’où aussi
l’importance de maintenir cette perspective de l’adhésion à l’Union
européenne et le processus d’intégration européenne de ces pays claire,
dynamiques et concrets.
• Le processus européen pour les Balkans occidentaux est extrêmement
important, je dirais même vital. Il est un projet de développement et de
prospérité pour nous, mais il est avant et surtout un projet de paix.
• Comme, en effet le projet européen lui-même est aussi à la base et encore
plus fortement aujourd’hui, un projet de paix. Il a été dit maintes fois,
mais c’est si cela comporte le risque de nous faire passer pour des naïfs
ou utopiques, que l’Europe est avant tout un projet de paix, car, en fait,
elle n’a jamais connu une aussi longue période de paix dans son histoire,
plus de 75 ans, avant naturellement que l’agression russe nous le rappelle.
• Si les jeunes générations de l’Europe occidentale n’ont pas connu la
guerre, il faut rappeler que dans les Balkans, lors de conflits de l’ex-
Yougoslavie, nous n’avons pas vu la guerre à la télé, mais à nos portes.
Et c’était il y a de cela moins de 20 ans. Il ne faut se tromper, car l’histoire
chaque jour, avec constance, et pour certains avec acharnement, vient
frapper à notre porte, et ce qui se passe en Ukraine en est l’exemple le
plus douloureux, le plus tragique.
• L’Europe et l’adhésion à l’Union européenne restent aussi une grande
force motrice de réformes internes dans les Balkans occidentaux qui, à la
fin, mènent a plus de prospérité et plus de sécurité et de paix dans nos
pays, mais aussi pour l’Union elle-même que nos pays aspirent à intégrer.
• Garder, préserver cet horizon européen pour nos peuples est vital. Il sert
aussi d’instrument de pression « positive » dans les mains de nos
populations, de nos électeurs pour que les hommes politiques et les
administrateurs dans nos pays ne déraillent pas et pour qu’ils soient a la
hauteur du souhait des gens.
• Or, malheureusement, le processus d’adhésion des pays des Balkans
occidentaux à l’Union européenne a été à la peine jusqu’à pas très
longtemps, aussi pour des raisons liées à la situation interne de l’Union,
alors que la région est convoitée par des acteurs extérieurs, comme la
Chine et la Russie. C’est pourquoi l’Union européenne devrait davantage
se préoccuper pour affirmer son autonomie stratégique.
• Mais, il y a cependant un regain d’intérêt de l’UE pour la région depuis
2-3 ans qui découle aussi de la montée en puissance de ces acteurs
extérieurs, principalement la Russie et la Chine.
• En effet, nous devons tenir compte du fait très important que ce processus
d’adhésion et les négociations avec les pays des Balkans servent les
intérêts géopolitiques des Européens, et de la France aussi puisque nous
sommes ici. Si le processus se ralentit, il y aura un vide, et comme nous
savons que la nature a horreur du vide, il sera comblé par d’autres
puissances tierces, par des prédateurs qui rôdent autour.
Guerre en Ukraine
• Puisque nous évoquons les questions géopolitique et l’actualité nous
donne raison sur ces arguments, permettez-moi de partager avec vous ma
très profonde tristesse, mon indignation et ma très grande inquiétude pour
la guerre qui se passe en Ukraine, pour ce crime qui est en train de se
consommer dans ce pays et les dangers pour nous tous. Une ligne rouge
a été franchie, extrêmement dangereuse de tous points de vue pour nous
tous.
• La seule information encourageante est qu’une opinion publique
européenne existe et qu’indépendamment des différences entre les
différents pays européens, il existe aussi la détermination à réagir face à
l’invasion russe de l’Ukraine.
• Nous pourrions cependant nous demander si l’Europe n’est pas encore
prête pour l’âge de la résilience dans lequel la force des acteurs
géopolitiques n’est pas simplement défini par les dommages qu’ils
peuvent infliger aux autres, mais par les dommages qu’ils sont euxmêmes
capables d’endurer. Là, c’est une question très importante.
• Les temps sont extrêmement graves et, pour finir, je citerais ici l’écrivain
et théoricien politique du début du XXe siècle Antonio Gramsci qui
écrivait : « Il y a crise quand le vieux est mort, et que le nouveau ne peut
pas naître. De cette obscurité peut naître un monstre », et Gramsci sousentendait
les fascismes.
• Pour avoir passé une partie de la jeunesse sous une dictature et dans un
pays militarisé qu’était l’Albanie, je suis devenu adepte de ce vieux et
bon slogan anti-guerre de la contre-culture et de la flower-power des
années’60 et ’70, et vous m’excuserez l’anglais dans l’original, : « Make
Love, Not War » (Faites l’amour, pas la guerre !)
Merci beaucoup à tous ! »
Biographie de SE M. Dritan Tola :
Ambassadeur d’Albanie en France et (non-résident) à Monaco et au Portugal
Représentant de l’Albanie auprès de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF)
Né à Tirana (Albanie) en 1970, l’Ambassadeur Dritan TOLA a effectué des études de lettres françaises et des études de droit. Il a également suivi diverses formations postuniversitaires en Europe en relations internationales.
Auditeur à la 69e session nationale de l‘Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale à Paris (IHEDN).
Il commence sa carrière professionnelle en 1992 et a travaillé depuis à l’Union européenne (Commission européenne et Service européen pour l’Action extérieure de l’UE). Il y a exercé des fonctions différentes comme Conseiller politique, et a été en charge des questions politiques, des questions de l’intégration européenne, et des développements européens et régionaux. Il a aussi été responsable de programmes européens dans le domaine de la démocratisation, des droits de l’homme et de la société civile, des médias et de la culture, de l’administration publique, de l’environnement, etc.
En 2013, il a pris ses fonctions en tant qu’Ambassadeur de la République d’Albanie en France (résident) et à Monaco (non-résident) et comme Représentant du Président de l’Albanie auprès de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Depuis 2015, il est aussi Ambassadeur d’Albanie (non-résident) au Portugal.
Il a présidé le Comité ad hoc sur les Adhésions et les Modifications de statut de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), ainsi que le Groupe de travail et de réflexion pour la réforme du fonctionnement des instances de la Francophonie. Membre-fondateur du Conseil d’administration du Groupe des Ambassadeurs Francophones de France (G.A.F.F.), il a été vice/Président du G.A.F.F à trois reprises.
L’Ambassadeur Tola a été président et/ou membre de comités directeurs de diverses organisations et programmes internationaux dans le domaine du développement et de la démocratisation, tels les programmes de développement du PNUD (ONU) et de la Banque Mondiale, de la « Open Society », de l’Académie albanaise des Etudes Politiques, du Centre Européen Régional pour l’Environnement, etc. Il est membre fondateur de « Lions Club Albania » et de « Retromobile Club Albania ». Membre, depuis 2016, du Conseil d’administration de Schiller International University/Paris Campus.