Le Cercle Richelieu Senghor de Paris s’est réuni le mardi 7 mars 2023 au Restaurant des Sénateurs autour de Jean-Frédéric Légaré-Tremblay, conseiller au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, sur le thème : « le français, un atout sur les marchés internationaux ».
Cet événement était organisé en collaboration avec la Délégation du Québec aux Affaires francophones et multilatérales, fidèle membre du Cercle, en présence de SE M. Vijayen Valaydon, Ambassadeur de Maurice et Président du GAFF, de Mme Michèle Boisvert, Déléguée générale du Québec, et de Mme Claire Deronzier, Déléguée du Québec aux Affaires francophones et multilatérales.
Alban Bogeat, Président du Cercle Richelieu Senghor , en a rappelé l’actualité. Il a mis l’accent sur la coopération engagée avec le musée du Quai Branly-Jacques Chirac à l’occasion de l’exposition « Léopold Sédar Senghor et les Arts : réinventer l’universel ». Deux rencontres seront organisées : la visite privée de l’exposition au Musée du Quai Branly le 21 mars (réservée en priorité aux membres du Cercle) et le 23 mars la présentation du livre collectif « L’héritage de Senghor » au salon de lecture Jacques Kerchache, en présence des membres du comité éditorial. Cet ouvrage rassemble les contributions de 50 auteurs issus de 15 pays.
Par ailleurs le Président a évoqué la récente nomination de Karl Akiki, lauréat du prix Richelieu Senghor 2021, comme directeur de la publication et de la valorisation scientifiques à l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF).
La parole a ensuite été donnée aux intervenants de la soirée :
Alexandre Planelles, directeur général de l’Alliance des Patronats Francophones, a présenté cette organisation fondée à Tunis en 2021 à l’initiative du MEDEF. Elle fédère aujourd’hui 28 organisations patronales représentatives de 27 pays, et a pour objectif de créer des ponts entre les différentes économies et de lever les barrières règlementaires. Il indique qu’un sujet majeur de l’Alliance, un visa d’affaires pour faciliter les échanges et la circulation entre les pays membres, est à l’étude. Il a évoqué les grands rendez-vous de l’Alliance, notamment le sommet Annuel, la REF (Rencontre des entrepreneurs francophones) qui se déroule une fois par an dans un pays membre : la première a eu lieu à Paris, en 2021, la seconde à Abidjan (Côte d’Ivoire) en octobre 2022 et la prochaine aura lieu du 11 juin au 13 juin 2023 à Québec . Le rendez-vous est donné à toutes les personnes qui œuvrent pour renforcer et développer l’économie dans l’espace francophone.
Ensuite, Jean-Frédéric Légaré-Tremblay a développé un plaidoyer sur les atouts de la langue française sur les marchés internationaux et le défi qu’elle doit relever face à l’anglomanie ambiante .
Tout d’abord, il fait le constat que les entreprises du Québec et de France sont de plus en plus nombreuses à se nommer et à s’afficher en langue anglaise considérée comme le sésame des marchés internationaux.
Du côté de la France, pas moins de 13 des 27 licornes recensées en 2022, ces entreprises technologiques non cotées en bourse et valorisées à plus d’un milliard de dollars, portent un nom exclusivement anglophone. Cette statistique exclut les noms bilingues (qui se comprennent en anglais comme en français) et les noms dits universels (un acronyme, un néologisme). Et parmi ces 27 entreprises, les noms à l’orthographe exclusivement française sont au nombre de… 0.
Au Québec, 25 des 50 entreprises championnes de la croissance (répertoriées par le magazine l’Actualité) ont un nom anglophone et deux seulement portent un nom français.
En outre, nombre de petits commerces, à Québec, à Paris et ailleurs choisissent de s’afficher en anglais.
Et pourtant, la langue française tient une place importante :
320 millions de locuteurs en font la 5e langue la plus parlée au monde et la 3e langue pour les affaires.
La langue française partage avec l’anglais le privilège d’être enseignée partout dans le monde. De même, au cours des 4 dernières années, le nombre d’apprenants du français langue étrangère a cru de :
• 31 % dans les Amériques
• 17 % en Asie et Océanie
• 13 % en Afrique subsaharienne
Pendant que les francophones s’empressent d’apprendre l’anglais, les non-francophones n’hésitent pas à s’approprier le français pour mieux s’exporter. Les Coréens se sont laissé inspirer en baptisant une chaîne de boulangerie Paris Baguette. Le label de mode japonais Comme des garçons connaît un succès international avec plusieurs expositions à Paris et dans le monde. De surcroît, la jeune pousse mongole de produits cosmétiques Lhamour a été récompensée au Forum économique mondial pour ses efforts d’internationalisation.
Ce sont quelques exemples parmi tant d’autres, qui démontrent qu’aujourd’hui encore le français s’exporte, se vend et reste un véritable atout et non un handicap dans les marchés internationaux.
Jean-Frédéric Legaré-Tremblay conclut en affirmant que la langue française ne peut être novatrice et créative que si ses locuteurs la pratiquent assidûment. Pour cela, il suffit que les entrepreneurs, les cadres d’entreprises et les publicitaires investissent la langue française et la valorisent : « Pour demeurer fertile, elle doit être labourée. » !
Présentation d’Alban Bogeat :
« Excellence, M. l’Ambassadeur de Maurice, et Président du GAFF
Mme la Déléguée générale du Québec,
Mme la Déléguée du Québec aux affaires francophones et multilatérales,
Chers Membres du Cercle Richelieu Senghor,
Chers Amis du Cercle,
Je suis ravi de vous accueillir,
Je souhaite la bienvenue à notre orateur, M. Jean-Frédéric Légaré-Tremblay, conseiller au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal.
Cette soirée est organisée en collaboration avec la Délégation du Québec aux Affaires francophones et multilatérales, fidèle membre du Cercle, et je remercie Claire Deronzier pour son soutien.
Vous savez toute l’importance que j’attache à la dimension économique de la francophonie et je me réjouis du thème choisi par M. Légaré-Tremblay: « Le français, un atout sur les marchés internationaux ».
Tout à l’heure je présenterai comme il est d’usage notre orateur avant de lui donner la parole, mais en introduction, je voudrais dire quelques mots de l’actualité du Cercle Richelieu Senghor et aussi donner brièvement la parole à un acteur de la francophonie économique.
L’actualité du Cercle, c’est tout d’abord la coopération que nous avons engagée avec le musée du Quai Branly – Jacques Chirac, à l’occasion de l’exposition « Léopold Sédar Senghor et les Arts : réinventer l’universel ». Je rappelle que nous avons accueilli pour notre dernier dîner le commissaire de l’exposition, M. Mamadou Diouf, Professeur à l’université Columbia de New York. Ce qui nous a valu l’honneur de recevoir la Secrétaire générale de la Francophonie, Mme Louise Mushikiwabo, qui a tenu à être présente.
Cette coopération avec le musée du Quai Branly se prolonge en mars à l’occasion de la semaine de la Francophonie avec deux événements :
D’une part une visite privée de l’exposition Senghor et les Arts le mardi 21 mars. Le nombre de places est très limité… elle sera réservée en toute priorité à nos membres,
D’autre part le musée met à notre disposition son salon de lecture le jeudi 23 mars à 18h pour une présentation de notre ouvrage collectif L’héritage de Senghor, en présence des membres du comité éditorial.
Je rappelle que ce livre a vu le jour à la suite du dîner d’hommage à Senghor que nous avons tenu ici-même en novembre 2021 pour le 20ème anniversaire de sa disparition. Il rassemble les contributions de 50 auteurs issus de 15 pays.
J’espère donc vous retrouver le 23 mars au Quai Branly.
L’actualité du Cercle, c’est aussi l’actualité de son réseau.
A ce titre, j’ai le plaisir de vous informer que M. Karl AKIKI, lauréat du Prix Richelieu Senghor 2021, chef du département de Lettres françaises à l’Université St Joseph de Beyrouth, poursuit une belle carrière au service de la Francophonie. Il va intégrer l’AUF (l’Agence universitaire de la Francophonie). Il vient en effet d’être nommé Directeur de la publication et de la valorisation scientifiques au sein de l’Académie internationale de la Francophonie scientifique qui vient d’être créée au Maroc, à Rabat.
Et dans un message qu’il m’a adressé depuis Montréal (siège de l’AUF), Karl me rappelle les mots qu’il avait prononcés ici-même, avec émotion : il avait dit « pour moi, il y aura un avant et un après le Prix Richelieu-Senghor ». Le voilà donc avec bonheur dans l’après…
J’en ai terminé avec l’actualité du Cercle.
Je voudrais maintenant revenir au thème de la soirée et à la francophonie économique.
Nous avons reçu ici-même en mars 2019 M. Fabrice le Saché, VP et porte-parole du MEDEF. Il avait alors tenu des propos extrêmement volontaristes en matière de francophonie économique.
J’ai retrouvé le tweet qu’il avait envoyé après notre dîner, et j’ai plaisir à en citer un extrait :
« Invité hier par le Cercle Richelieu Senghor au Sénat, j’ai pu exprimer notre engagement total pour la francophonie économique. MEDEF International agit dès à présent pour replacer les entreprises au cœur de l’espace francophone. (…) Connecter les entreprises francophones entre elles et animer cette communauté d’affaires sera une priorité pour créer un réseau opérationnel » (fin de citation)
Ce réseau opérationnel, il existe maintenant : c’est l’Alliance des Patronats francophones. Et je suis ravi d’accueillir ce soir son DG, M. Alexandre Planelles, à qui j’ai proposé de nous présenter brièvement ce réseau qu’il dirige. Cher Alexandre, je vous cède le micro… »
Discours de Jean-Frédéric Légaré-Tremblay :
« Je suis honoré de me voir confié cette tribune le temps de partager un plaidoyer sur le français en affaires. Un plaidoyer décliné essentiellement comme un argumentaire, afin de démontrer — et, parfois, de tout simplement rappeler — tous les avantages du français dans le commerce international. Je l’espère convaincant auprès de vous, bien sûr, mais aussi, ultimement, auprès d’un auditoire plus large, celui des entrepreneurs, des cadres d’entreprises, des publicitaires… bref, de tous ceux et celles qui, tout en mettant en mots leur commerce, leurs produits et leurs services, participent, qu’ils le veuillent ou non, au commerce des mots et des langues.
Je ne vous apprendrai pas grand-chose dans un premier temps en affirmant que le milieu entrepreneurial francophone de part et d’autre de l’Atlantique rêve de plus en plus ses ambitions en anglais.
J’ai toutefois voulu prendre la juste mesure de ce phénomène, en le quantifiant. Du côté de la France, pas moins de 13 des 27 licornes recensées en 2022, ces entreprises technologiques non cotées en bourse et valorisées à plus d’un milliard de dollars, portent un nom exclusivement anglophone. Leur orthographe ne ment pas. J’exclus en effet de cette statistique les noms bilingues (qui se comprennent en anglais comme en français) et les noms dits universels (un acronyme, un néologisme…). Et parmi ces 23 entreprises, les noms à l’orthographe exclusivement française sont au nombre de… 0.
La French Tech se porte bien…
Au Québec, ce sont 25 des 50 entreprises championnes de la croissance répertoriées par le magazine L’actualité qui ont baptisé leur entreprise d’un nom anglophone. Parmi les 25 autres entreprises, les noms dont l’orthographe est française sont au nombre de… 2.
Et tout cela, sans compter bien sûr tous ces petits commerces qui ont pignon sur rue à Montréal, à Paris et ailleurs, et qui choisissent de s’afficher en anglais.
Si la tendance se maintient, on devine bien à quoi ressemblera dans l’avenir le paysage commercial au sein même de la Francophonie si des entreprises de télécommunications, par exemple, intitulent allègrement leur plan stratégique «lead the future»! (Clin d’œil à Orange)
De toute évidence, ce n’est pas par leur identité nominative que souhaitent se démarquer ces entrepreneurs français et québécois. Sans doute qu’ils estiment que l’usage de la langue de la mondialisation, l’anglais, leur permettra de mieux se faire comprendre sur les marchés internationaux et d’y avoir le succès espéré. Le fait qu’ils se soient hissés au sommet des palmarès de la croissance leur fournit d’ailleurs un argument de taille.
Mais revenons sur cet argument. Parce que des entrepreneurs québécois francophones ont en effet confié qu’ils craignaient de ne pouvoir se faire comprendre, et par-là convaincre les clients et les investisseurs à l’étranger, s’ils n’adoptaient pas l’anglais, surtout bien sûr dans le marché nord-américain.
Mais tout bien considéré, je vois pourtant dans ce choix une occasion manquée: celle de donner à son entreprise un capital de marque, cette valeur ajoutée qui lui confère une identité particulière. Car choisir la langue dominante ne permet pas de tirer profit de cette identité francophone qui distinguerait justement ces entreprises dans le vaste marché mondial dominé par l’anglais.
En clair : la singularité culturelle a une valeur commerciale qui est sous-estimée et sous-exploitée.
Alors, où réside cette valeur ajoutée donnée par la langue française?
La singularité culturelle, qu’elle soit francophone ou autre, a la cote chez les consommateurs. Selon l’agence de publicité Universal McCann, 57 % des personnes interrogées à travers le monde estiment que « marque locale » rime avec « authenticité » et 69 % disent aimer consommer des produits d’origine étrangère.
Ne nous y trompons pas : les tendances de consommation sont bien souvent mondiales; elles se répandent sur tous les continents comme une traînée de poudre. La pression uniformisante est forte. Et pourtant, dans ces modes mondialisées, l’inspiration locale contribuerait au sentiment d’individualité et d’unicité des consommateurs; bref, la touche locale est recherchée. Quoi de mieux alors que la langue, marqueur identitaire de premier plan, pour signaler au premier coup d’œil et dès les premiers sons cette touche locale.
L’histoire ne manque pas d’exemples de toutes langues pour contredire l’argument utilitaire du tout-à-l’anglais. Que bien peu de gens hors de la Corée du Sud savent que Samsung signifie « trois [sam] étoiles [sung] » n’a pas empêché la multinationale de conquérir les cinq continents. Idem pour la japonaise Mitsubishi, l’entreprise aux « trois [mitsu] diamants [ishi] ». On pourrait ajouter Volkswagen, la « voiture du peuple » allemande, ou encore Nokia, avec sa consonance toute finlandaise.
Vous avez compris que mon plaidoyer pour un recours assumé à la langue française concerne avant tout les marchés non-francophones. Il n’exclut pas le vaste marché francophone, ça va sans dire. C’est un marché naturel sur le plan linguistique – du moins devrait-il l’être. Mais c’est hors francophonie que je souhaite faire la démonstration, contre-intuitive peut-être, que notre langue peut être un atout, justement grâce à son caractère distinctif.
Le français jouit là d’avantages que bien peu d’autres langues possèdent. Vous le savez, avec ses 320 millions de locuteurs, notre langue est au cinquième rang des plus parlées dans le monde; au troisième rang pour les affaires et — c’est la statistique que je souhaite relever ici — au deuxième rang parmi les plus apprises en tant que langue étrangère, derrière l’anglais. La langue française partage en effet avec l’anglais le privilège d’être enseignée dans tous les pays du monde. Elle l’est d’ailleurs de plus en plus, puisqu’au cours des quatre dernières années seulement, selon l’Observatoire de la langue française, le nombre d’apprenants du français langue étrangère a crû de 31% dans les Amériques, de 17% en Asie et en Océanie, et de 13% en Afrique subsaharienne; alors qu’elle fait du sur-place en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, et a chuté de 10% en Europe. Mais au total, leur nombre augmente!
Le français n’est donc pas répandu que par héritage ou simple effet de démographie: on souhaite aussi l’apprendre! Il est attractif!
S’il attire, s’il attise l’intérêt, c’est pour de multiples raisons historiques et culturelles, mais entre autres, parce que « ce qui sonne français est considéré comme prestigieux ou élégant », pour citer la linguiste Marie Treps dans Les Mots migrateurs. Un cliché, pratiquement, pour une langue qui s’est construite autour d’un souci esthétique, mais qui n’est pas sans intérêt sur le plan commercial. Au contraire. La science même le démontre. Une recherche dont les résultats ont été publiés dans le Journal of Marketing Research révèle que, en comparaison avec l’anglais, la prononciation française d’un nom de marque affecte positivement l’hédonisme perçu des produits, et leur appréciation générale.
Plusieurs entreprises hors-francophonie l’ont compris. Alors que des entrepreneurs francophones galopent en masse vers l’anglais, des non-francophones n’hésitent pas à s’approprier le français pour mieux s’exporter. Les Coréens se sont laissé inspirer par ces valeurs que véhicule le français en baptisant deux multinationales de la boulangerie Paris Baguette et Tous les jours. La première, assez culottée, a ouvert cinq succursales à Paris et la seconde affiche ses trois mots français jusque dans les rues d’Oulan-Bator… Ces deux boulangeries s’exportent bien.
Je pense aussi au parfumeur japonais Comme des garçons ou à la jeune pousse mongole de produits cosmétiques Lhamour, récompensée au Forum économique mondial pour ses efforts d’internationalisation. Les exemples sont légion. J’ajoute, parce qu’il est aussi beau que peu connu, celui du tentaculaire conglomérat coréen, le chaebol Lotte, qui tire son nom du personnage de Charlotte, un nom bien français dans le roman Les souffrances du jeune Werther de Goethe et dont s’était entiché le fondateur, Shin Kyuk-Ho.
Dans les rues de Séoul ou de Tokyo, on croise de nombreux petits commerces s’affichant en français. Si nous connaissons trop bien le franglais, sachez qu’il existe aussi le franponais; le mot existe, ce n’est pas mon invention. C’est un mélange souvent créatif, parfois… étonnant, de français et de japonais. Et comme tout emprunt linguistique, il découle d’une fascination pour la langue française et les valeurs qu’elle charrie.
Quelques remarques sur les vertus respectives du vocabulaire et de la grammaire anglaise et française.
Outre sa puissance géoculturelle, l’anglais attire car il aurait la vertu d’être plus succinct que le français et que le jeu de mots, si prisé dans les noms d’entreprise, y viendrait plus aisément. L’anglais serait le royaume de ce que le poète et essayiste Alain Borer appelle l’«anapsie», soit la capacité à saisir la chose en un mot. De plus, l’Oxford English Dictionary recense plus de 200 000 mots, alors que le Larousse n’en définit que 60 000…
Or, j’ose espérer que quelques dizaines de milliers de mots français forment un terreau suffisamment riche pour dire avec justesse, suggérer avec originalité et clamer avec assurance ce que l’on crée, produit et vend. Il n’en fallut que trois à l’entreprise québécoise Cirque du Soleil et un seul à la française Carrefour pour conquérir des marchés de toutes les langues.
Ensuite, rappelons que le français a fourni pas moins de 40% du vocabulaire anglais! C’est donc dire, si mes calculs sont bons, que 80 000 mots du Oxford English Dictionary trouvent racine dans la langue française. Plus officiellement, ce serait 37 000 mots français qui auraient été «donnés» à l’anglais. Le chiffre demeure énorme. Clémenceau disait d’ailleurs que l’anglais n’est que du français mal prononcé…
Il y a donc fort à parier qu’anglophones et anglotropes reconnaîtront et comprendront bien des mots français, ce qui devrait rassurer ces entrepreneurs francophones dont le souci premier est de bien se faire comprendre dès les premiers mots.
Les constructeurs automobiles américains, japonais, coréens et autres ont d’ailleurs pigé sans retenue dans ce vocabulaire commun. Voici un défilé de noms, que j’emprunte encore une fois à Alain Borer : les Buick Le Sabre, Regal; les Chevrolet Avalanche, Caprice; les Chrysler Concorde, Le Baron; les Ford Aspire, Cavalier, Contour, Escalade, Grand Marquis, Galaxie (écrit «ie»!); les Honda Accord, Element, Empire, Prélude; les Hyundai Accent, Palisade, Ionic; la Lincoln Mystique; la Mazda Protégé; les Mitsubishi Eclipse, Galant, Mirage; les Pontiac Bonneville, Le Grand Prix et… La Parisienne.
Voilà, un détour par Detroit (ou Détroit, si vous préférez le nom original) pour revenir dans la capitale française.
Qu’on y songe : habilement utilisée — et j’insiste sur «habilement» — la langue mondialisée qu’est l’anglais peut servir de véhicule aux mots français à travers le monde — en privilégiant l’orthographe française, bien sûr.
Et rien n’empêche non plus d’emprunter à l’anglais. Encore faut-il le digérer, ne pas l’avaler tout rond, comme ces clusters et ces spoilers qui truffent désormais la langue française courante. Si le français a pu avaler le riding coat pour restituer la redingote, ou plus récemment le email en courriel et le podcast en balado, gracieusetés de l’Office québécois de la langue française, on peut certainement en usiner de nouveaux en usant de créativité.
En fait, le bassin de mots qui n’attendent qu’à être créés pour baptiser une entreprise, ses produits et ses services, déborde largement des dictionnaires officiels, puisque cet exercice autorise bien des libertés orthographiques et grammaticales. La créativité est ici en quelque sorte affranchie des contraintes du français standard. Additionnons-y les régionalismes — québécismes, acadianismes, et autres — qui rehaussent encore davantage la singularité culturelle, et le potentiel de création est exponentiel.
On déplore à raison l’invasion de l’anglais, qui pénètre les esprits comme jamais grâce aux médias sociaux et aux plateformes numériques. L’emprise de l’empire culturel américain, pour être plus précis encore, devient invisible en raison même de son omniprésence, comme le remarque avec justesse l’intellectuel Mathieu Bélisle dans son essai L’empire invisible. Mais on doit surtout se désoler d’un envahissement de l’anglais, lequel relève plutôt d’un oubli de soi. C’est-à-dire que nous consentons à l’invasion. Au-delà du souci utilitaire de se faire comprendre à l’étranger, l’engouement pour l’anglais trahit en réalité une fuite hors de l’imaginaire francophone.
Cette désertion procède chez plusieurs de cette idée voulant que le français soit démodé, ringard, et l’anglais, novateur, cool. Or, et c’est là tout le danger, cette idée peut tragiquement prendre la forme d’une prophétie auto-réalisatrice, car malgré la richesse de son terreau, la langue française ne peut être créative et novatrice que si ses locuteurs la fréquentent et la pratiquent assidument. Affectueusement, ai-je envie de dire.
Pour demeurer fertile, elle doit être labourée.
Le français peut donc être un atout et non un handicap sur les marchés internationaux. Donnons tort à ceux et à celles qui croient avec George W. Bush que : «the problem with the French is that they don’t have a word for entrepreneur»… (Blague à part, et pour être juste, il n’est pas confirmé qu’il a bel et bien dit cela lors d’une rencontre privée avec Tony Blair.) Nous pourrions d’ailleurs parler d’entrepreneuriat au lieu d’entrepreneurship, pour commencer…
Pour que le français soit un atout, il suffit, pour les entrepreneurs, les cadres d’entreprise et les publicitaires, de l’investir, de le valoriser et, surtout, d’en profiter en puisant sans retenue dans tout ce que recèle les imaginaires français, québécois et de partout ailleurs dans la francophonie. »
Biographie de M. Légaré-Tremblay :
« Le moment est venu de vous présenter notre orateur :
M. Jean-Frédéric Légaré-Tremblay a été reporter et chroniqueur international pour le quotidien québécois Le Devoir, pour le magazine L’actualité et pour Radio-Canada, pour lesquels il a principalement couvert l’actualité américaine et asiatique.
Cher M. Légaré-Tremblay, vous êtes titulaire d’une maîtrise en Relations internationales de l’Université du Québec à Montréal,
Vous avez enseigné cette matière à l’Université de Sherbrooke et à l’Université de Montréal.
Vous avez appartenu au Wilson Center de Washington, un cercle de réflexion très réputé en matière politique,
Également à l’Alliance des civilisations des Nations Unies, qui œuvre pour la coopération et le dialogue interculturel et interreligieux,
Vous êtes membre du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, en tant que conseiller principal pour les communications et les partenariats.
Enfin vous êtes cofondateur du Fonds québécois en journalisme international et vous signez régulièrement des tribunes dans les médias québécois, ainsi que dans le Globe and Mail, mais aussi dans Le Monde et Le Figaro. Et c’est d’ailleurs une de vos tribunes dans le Figaro qui m’a incité à prendre contact avec vous.
Vous avez choisi comme thème : « Le français, un atout sur les marchés internationaux » et ce thème, vous l’avez argumenté de la façon suivante :
« Les entreprises du Québec et de France sont de plus en plus nombreuses à se nommer et à s’afficher en langue anglaise, considérée comme le sésame des marchés internationaux. Le français peut pourtant être un atout et non un handicap sur ces mêmes marchés. Au-delà des incantations, ce plaidoyer pour le français en affaires tentera de démontrer pourquoi et comment l’usage créatif de leur propre langue est dans l’intérêt de ces entreprises – et des institutions publiques qui les soutiennent. »
En lisant cela, je me suis dit que c’était un beau défi, car il y a beaucoup à faire face à l’anglomanie ambiante. Cher M. Légaré-Tremblay, je vous cède le micro. »