Monsieur Michel ROBITAILLE, Délégué général du Québec.
Madame la présidente, Mesdames et Messieurs, Chers amis,
Je voudrais d’emblée remercier Madame Anne Magnant pour sa chaleureuse invitation et lui exprimer tout le plaisir que j’éprouve à être parmi vous ce soir, à l’occasion de ma première participation aux activités du Cercle Richelieu-Senghor.
J’ai voulu que mon propos aborde trois aspects distincts, mais en fait étroitement liés, de l’action du Québec en France et en Francophonie. Je tâcherai, en premier lieu, d’évoquer comment la présence du Québec dans le champ multilatéral découle de sa relation privilégiée avec la France. Je traiterai ensuite d’un volet exemplaire, mais méconnu à Paris, de notre action dans l’aventure francophone des Amériques, à travers le cas du Centre de la Francophonie des Amériques. Enfin, je vous ferai part de la programmation prévue cette année dans le cadre des célébrations du 50e anniversaire de l’implantation de la Délégation générale du Québec à Paris.
L’histoire de la diplomatie québécoise est encore jeune. Et c’est en France qu’elle a fait ses premiers pas. En février 1882, un arrêté en conseil du gouvernement du Québec désigne Hector Fabre agent général du Québec à Paris. Curieusement, le Premier ministre de l’époque, Adolphe Chapleau, voit dans cette nomination un moyen de développer la colonisation du Nord québécois grâce à l’apport du « capital français ».
Par un curieux retour de l’histoire, le Plan nord du gouvernement Charest sera au cœur de la visite au Québec du Premier ministre François Fillion en juin prochain.
L’arrivée d’Hector Fabre à Paris inaugure une intense période de relations franco-québécoises, que la Première Guerre mondiale viendra subitement interrompre.
La Révolution tranquille lancée par l’équipe du premier ministre Jean Lesage redonnera un nouveau souffle à cette relation, cette fois pour longtemps. Cette histoire commence officiellement le 5 octobre 1961. Ce jour-là, le premier ministre Lesage, accompagné d’une importante équipe ministérielle, inaugure la « Maison du Québec » à Paris (ancêtre de la Délégation générale du Québec), idée à laquelle a un temps songé le Premier ministre Maurice Duplessis, pour aussitôt y renoncer. Dans le discours qu’il prononça à cette occasion, le premier ministre Lesage déclara : « le Québec a pris conscience de lui-même et de sa place dans le monde actuel. C’est pour mieux l’occuper que nous avons institué à Paris notre Délégation générale. »
Cette complicité retrouvée entre la France et le Québec, marquera profondément l’histoire de la Francophonie et sera à l’origine de sa naissance politique. C’est cette « relation directe et privilégiée » entre les deux gouvernements, si fortement voulue par le Général de Gaulle, qui est à l’origine non seulement de la présence du Québec en Francophonie, mais de la place si particulière qu’il y a toujours occupée.
Selon la formule du regretté Jean-Marc Léger, premier Secrétaire général de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), « le bilatéral débouche parfois sur le multilatéral et les deux modes d’activité se fécondent réciproquement »,
Quand l’ACTT est créée le 20 mars 1970, à Niamey, elle est l’aboutissement d’un cheminement difficile. Il aura fallu les deux conférences ministérielles de Niamey, en février 1969 et en mars 1970, pour mesurer toute la difficulté du projet francophone et l’ambition du Québec d’y être activement associé. La présence du Québec y fut âprement contestée, Ottawa redoutant que les velléités internationales du Québec ne créent une brèche dans ses attributions, qu’il estimait exclusives.
Pendant de nombreuses années, le gouvernement canadien s’opposera aux ambitions internationales du Québec et ce n’est qu’au terme d’incessantes et laborieuses tractations entre Ottawa, Québec et Paris que les obstacles seront un à un levés. Du point de vue du gouvernement fédéral, la politique internationale ne pouvait relever que d’un État souverain. Par conséquent, l’État canadien ne reconnaissait pas au Québec le pouvoir de signer des ententes internationales, privilège qu’il considérait réservé à lui seul. Cette querelle opposera longtemps les deux gouvernements, créant au sein de la Francophonie un « vide politique » qui repoussait sans cesse la tenue d’un premier Sommet des chefs d’État, ainsi que l’avais souhaité le Président Senghor, dès 1966, à l’occasion de la Conférence de l’Organisation commune africaine et malgache (OCAM).
Le gouvernement Lesage fit alors preuve d’une audace politique sans égal jusqu’à ce jour. Le 12 avril 1965, le ministre Paul Gérin-Lajoie déclara que « dans le cadre constitutionnel canadien, le Québec est tout à fait fondé à avoir des relations internationales dans les domaines de sescompétences. » Affirmant « la détermination du Québec de prendre dans le monde contemporain la place qui lui revient », il ajouta que « dans tous les domaines qui sont complètement ou partiellement de sa compétence, le Québec entend désormais jouer un rôle direct, conforme à sa personnalité et à la mesure de ses droits.» Cette déclaration jeta les bases de la doctrine internationale du Québec, doctrine jamais remise en cause depuis cette date.
Autre étape marquante, la création de l’ACCT. Afin de favoriser l’intégration du Québec à la nouvelle Agence, la France proposa que des États non souverains y adhèrent et signent la convention créatrice de l’Agence.Proposition aussitôt rejetée par Ottawa et par d’autres États. Face à l’opposition, la France suggéra un double et astucieux compromis : la convention serait signée par les seuls États souverains, membres de l’Agence, tandis que la Charte autoriserait la participation directe des gouvernements, c’est-à-dire du Québec, à titre de « gouvernements participants ». L’ingéniosité rhétorique des diplomates du Quai d’Orsay vint enfin à bout des réticences canadiennes.
Le 20 mars 1979 vingt-deux pays signèrent la Convention de Niamey qui reconnaissait les États non-souverains comme gouvernements participants aux institutions de l’Agence. Le Québec deviendra membre de l’ACCT le 11octobre 1971 à l’occasion de la 2e Conférence générale de l’Agence, tenue du 10 au 15 octobre à Ottawa et Québec, et au terme d’une négociation qui permettait la conclusion d’un protocole définissant les modalités de sa participation à l’Agence et ses conditions d’adhésion. L’entente fut signée le 1er octobre 1971 par le premier ministre du Québec, M.Robert Bourassa aussi ministre des Affaires intergouvernementales – et le ministre canadien des Affaires extérieures, M. Mitchell Sharp.
Une étape restait pourtant encore à franchir pour rendre possible la pleine intégration du Québec à la Francophonie.
En 1985, à la faveur de l’élection du Premier ministre Brian Mulroney, Ottawa et Québec signèrent un accord qui définissait les modalités de la participation du Québec au Sommet de la Francophonie. Le Président Mitterrand,qui avait toujours refusé de tenir un tel Sommet sans la présence du Québec, pouvait maintenant organiser le premier Sommet de la Francophonie, à Versailles, en février 1986, Sommet qui conférait à cette organisation une nouvelle dimension politique.
Les querelles Québec-Ottawa qui ont marqué les décennies 60-80 font maintenant partie de l’histoire ancienne. Elles ont cédé la place à une normalisation raisonnée qui consacre la personnalité internationale du Québec et la légitimité de ses ambitions.
Le Québec oeuvre pour que la Francophonie d’aujourd’hui et de demain offre une réponse crédible aux défis globaux du monde : le changement climatique, la gouvernance mondiale, la crise alimentaire, la démocratie et les droits de l’Homme.
La Francophonie est à présent en mesure de relever les défis de son époque. La Francophonie symbolise une autre façon d’être ensemble à un moment de l’histoire où tant de fondamentalismes cherchent à dresser les peuples les uns contre les autres, dans une obstination idéologique qui fait dangereusement obstacle au dialogue, indispensable condition de toute paix véritable.
Pour le Québec, la Francophonie, telle que nous l’avons redéfinie à Hanoi, en 1997, mais aussi telle qu’elle doit conduire son action dans l’avenir, reste une construction politique essentielle et unique. C’est grâce à cette ambition politique que la Francophonie peut aspirer à devenir un acteur toujours plus influent des relations internationales.
La Francophonie politique c’est, bien sûr, celle qui élabore et adopte la Déclaration de Bamako, qui se fait médiateur dans les situations de crise, qui se mobilise en faveur de la paix et de la démocratie, des droits de l’Homme et du développement, qui vient en aide à Haïti dévasté. C’est aussi, depuis peu, à l’instigation du Canada et de la France, celle qu’on consulte en marge des réunions du G8 et du G20, celle qui exprime son opinion sur la gouvernance mondiale et l’enjeu climatique.
La place du français dans le monde de demain préoccupe le Québec. Sa place sur l’échiquier linguistique mondial est incertaine en l’absence d’une véritable volonté politique des peuples francophones. Dans les organisations internationales, sa situation est inquiétante. À ce propos, permettez-moi de rappeler les mots du Premier ministre Charest au Sommet de Montreux en octobre 2010 : « Le statut de la langue française doit être réhabilité dans le respect des différents régimes linguistiques en vigueur. (…) Ce qui est en cause c’est moins la maîtrise de la langue que l’absence de volonté politique d’en faire usage. »
II s’agit là d’une mission propre à la Francophonie. « Mission d’autant plus essentielle », pour reprendre les mots prononcés par Monsieur Charest en ouverture du Sommet de Montreux, « qu’aucune autre institution internationale n’est en mesure d’accomplir ce mandat. »
Face à la mondialisation, comment et à quelles conditions le français peut-il rester un pôle attractif ? Quelle place pourra-t-il occuper dans la nouvelle hiérarchie d’influence en train de se mettre en place ? Quelles stratégies politiques peuvent contribuer à lui assurer un avenir ?
C’est sous l’horizon de ces interrogations, que le Québec, répondant à l’appel du Secrétaire général de la Francophonie à Montreux, s’est proposé pour accueillir en 2012, à Québec, le premier Sommet mondial de la langue française.