Jacques CHEVRIER, Professeur émérite à Paris IV Sorbonne.
Une enfance africaine
Né en 1906 à Joal, une modeste bourgade de la petite côte au Sénégal, Léopold Sédar Senghor appartient par ses origines à une famille sérère, dont le père, Basile Diagoye Senghor, à la fois propriétaire terrien, éleveur et commerçant aisé, occupe une fonction sociale enviable au sein de la société coloniale de l’époque ; c’est un notable.
Les greniers à mil de ce riche polygame- il est à la tête de 4 épouses et d’une ribambelle d’enfants- regorgent de grain, et il entretient des relations privilégiées avec le « Roi de Sine », descendant des derniers conquérants, Malinké de Haute Guinée, un personnage hiératique dont le poète se souviendra lorsqu’il évoquera les fastes inséparables des déplacements de ce personnage, Koumta N’Dofène ????
Il appelait mon père « Tokor » ??,, ils échangeaient des énigmes que portaient des lévriers à grelots d’or (Que m’accompagnent koras et balafons, in Chants d’ombre., p 32).
Mais, selon la coutume propre aux sociétés matriarcales de l’Afrique de l’Ouest, le jeune Senghor semble avoir été beaucoup plus proche de son oncle maternel, Toko Waly, à qui il rend un hommage appuyé et qui fut sans doute son guide le plus précieux et son initiateur au sein de ce royaume d’enfance dont la nostalgie imprègne l’ensemble de son œuvre, et plus particulièrement les Chants d’ombre.
Je me sentais du sang maternel -sa mère était d’origine peule- confirma-t-il plus tard (A.Guibert, L.S. Senghor, Seghers,1961) et je recherchais en toute occasion la société de mon oncle, qui m’a ouvert les yeux à la vie des bêtes et aux phénomènes de la nature.
Toutefois, à cette existence buissonnière au contact des bergers et des paysans, succède bientôt la contrainte de l’école. Mon père me battait souvent le soir, me reprochant mes vagabondages, et il finit, pour me punir et me « dresser », par m’envoyer à l’école des Blancs, au grand désespoir de ma mère qui vitupérait qu’à 7 ans c’était trop tôt. (Postface aux Ethiopiques).
A l’âge de 8 ans, en réalité, le jeune garçon est donc confié aux pères de la mission catholique de Joal, prélude à l’internat de la mission de Ngasobil, administrée par les Pères du Saint Esprit, dont l’enseignement, très libéral, associe les activités de jardinage à l’apprentissage du latin, du français et du wolof.
Il faut pourtant renoncer à ce paradis pour le collège- séminaire de Dakar- où Senghor se montre peu ?? réceptif à l’enseignement de ses maîtres- puis le cours secondaire laïque, préfiguration du futur lycée Van Vollenhoven, où il obtient son baccalauréat en 1928. Bénéficiaire d’une demi-bourse, Senghor s’embarque alors pour Paris où il s’inscrit à la Sorbonne- où il souffre de la solitude et de l’anonymat, avant de rejoindre au lycée Louis le Grand les classes préparatoires à l’entrée à l’Ecole Normale Supérieure dont il rate le concours d’entrée. Retour à la Sorbonne qui le conduit jusqu’à l’agrégation de grammaire obtenue en 1935.
Les années parisiennes
La voie semble donc toute tracée pour ce brillant intellectuel noir –le 1° agrégé africain- qui entame alors une carrière de professeur du second degré, d’abord au lycée de Tours puis à Marcelin Berthelot, à Saint Maur, où il a laissé le souvenir d’un maître compétent et dévoué.
Mais derrière le pédagogue se dessine déjà la silhouette du futur militant de la Négritude et du politicien.
Dès 1930, en effet, sous l’influence de son condisciple de Louis le Grand, Georges Pompidou, Senghor a adhéré à l’Association des étudiants socialistes, et cet engagement s’est poursuivi en 1935 par sa participation active au lancement de la revue L’Etudiant noir, journal de l’association des étudiants martiniquais fondé par Aimé Césaire, dont il a fait la connaissance sur les bancs de Louis le Grand.
Les années d’apprentissage parisiennes, décisives pour la genèse de l’œuvre poétique,vont également exercer une influence prépondérante dans l’évolution d’un homme que l’Histoire a placé au carrefour de deux mondes, encore fort éloignés l’un de l’autre. Nourri de culture gréco-latine, et fasciné par quelques –unes des grandes figures des Lettres françaises (Hugo, Baudelaire, Péguy, St John Perse, Claudel), Senghor n’en ressent pas moins l’insularité ?? de sa condition de « nègre » dans un monde dominé par les valeurs occidentales. Les poèmes écrits à cette époque expriment en effet les hésitations et les angoisses d’un homme confronté à l’expérience de ce que son compatriote Cheikh Amidou Kane appellera quelques années plus tard « l’Aventure ambigüe » (roman publié en 1961).
Ainsi, en plus d’une page,on lit la souffrance de celui qui connaît l’expérience de l’exil et du déracinement :
Quelle marche lasse le long des jours d’Europe où parfois apparaît un jazz orphelin qui sanglote sanglote sanglote
(« Joal « , in Chants d’ombre, p 16 ),
et c’est donc tout naturellement vers le « royaume d’enfance » que l’entraîne la nostalgie du paradis perdu.
Mais l’opposition entre l’Europe et l’Afrique ne se résume pas à ces accents élégiaques et en plus d’une page se lit déjà l’ambivalence de la relation haine-amour qui unit le poète à la France. S’il décline la rose et respire en une « chambre peuplée de Latins et Grecs », Senghor n’en oublie pas pour autant les mains blanches qui tirèrent les coups de fusil qui croulèrent les empires
(« Neige sur Paris »,Chants d’ombre, p 22),
et il ne cache pas son ressentiment à l’égard de cette France qui dit bien la voie droite et chemine par des sentiers obliques (« Prière de Paix », Hosties noires, p 94).
Tout se passe donc comme si, déçu par le long cheminement qui l’a conduit de Joal aux rives de la Seine,de Sine en Seine, Léopold Senghor prenait une plus juste mesure de l’écart séparant l’humanisme de ses maîtres occidentaux du discours ordinaire des politiciens, fussent-ils animés par l’esprit du Front populaire auquel le jeune professeur du lycée de Tours avait adhéré avec enthousiasme .
Entre temps sa personnalité s’est affirmée d’un double point de vue littéraire et politique.
La découverte de l’Afrique sur les rives de la Seine
Senghor a d’abord été animiste avant de devenir chrétien, et l’on peut affirmer sans hésiter que le terreau psychique dans lequel s’enracine son oeuvre se situe en Afrique, entre Joal et Ngasobil, où il a vu le jour et passé ses premières années. Toutefois, compte- tenu de son enrôlement précoce dans le système scolaire occidental, on peut s’interroger sur son appartenance au système de l’éducation traditionnelle dispensée en milieu rural. A-t-il été initié ? On l’ignore et à notre connaissance c’est un sujet qu’il n’a pas abordé explicitement.
Sana doute conscient des lacunes de son savoir sur le continent dont il était originaire,Senghor met à profit ces années de formation pour aborder l’Histoire de la civilisation africaine de l’ethnologue allemand Leo Frobenius, dont une traduction abrégée paraît en 1936. Lecture partagée avec Césaire et qui devient vite leur livre de chevet à tous les deux.
L’impact des théories de Frobenius est en effet capital pour comparer ??? l’évolution des idées de Senghor –et en partie celles de Césaire- dans leur projet commun de rejeter l’assimilation et de revendiquer ce qui ne s’appelle pas encore leur « Négritude ». L’historien allemand opère en effet une distinction fondamentale entre civilisation et culture, le premier terme renvoyant au progrès matériel et technique, le second, la culture, désignant l’intégration de l’homme au monde et apparaissant comme le fondement et le but de l’activité humaine :
« Les barrages des ingénieurs n’ont pas apaisé la soif des âmes ».
Dans le classement qu’il opère entre divers groupes humains, Frobenius distingue deux grands types de civilisation, la civilisation hamitique et la civilisation éthiopienne. Autant la première est liée à la conquête, autant la seconde apparaît soucieuse de réaliser une symbiose harmonieuse entre l’homme et le monde. C’est évidemment à cette vision des choses que vont se rallier Senghor et ses amis. Et Suzanne Césaire peut écrire dans le N° 1 de la revue Tropiques : « L’Afrique ne signifie pas seulement pour nous l’élargissement vers l’ailleurs, mais aussi approfondissement de nous-mêmes, car Frobenius retrouve le sens des cosmogonies depuis Anaxagore et Platon ».
S’inscrivant à rebours de l’idéal des Lumières, Senghor estime donc que c’est pour avoir donné la priorité à la perception hamitique du monde que celui-ci traverse une grave crise de civilisation –d’ailleurs dénoncée par une partie de l’intelligentsia française-, et que le stade fécond de l’humanité se situe en amont. Mais un renouveau est possible à la lumière des théories de Frobenius, renouveau dont l’Afrique, via la Négritude, pourrait être le fer de lance. C’est tout le sens de la « Prière aux masques » et du Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire.
C’est dans ce climat de doute et d’amertume que se place un événement qui va permettre à Senghor de préciser sa pensée. En septembre 1937, à l’occasion de son retour au Sénégal, Senghor est invité à prononcer une conférence devant un auditoire de notables et d’ « évolués » réunis à la Chambre de Commerce, et en présence du Gouverneur Marcel de Coppet.
Dans son exposé intitulé « Le problème culturel en AOF », il choque d’entrée son auditoire en se présentant comme un fils de la brousse : « C’est en paysan du Sine que je comptais vous parler ce soir » déclare-t-il d’emblée à un public qui pensait accueillir l’enfant-prodige, le 1° agrégé africain et le Parisien qui a réussi. « Ce fut un tollé général », notera-t-il plus tard dans Liberté I. En fait, par-delà les officiels coloniaux rassemblés à la Chambre de Commerce, Senghor se fait ici le porte-parole d’une Afrique qui n’est pas présente dans l’auditoire, cette Afrique des villages auprès de laquelle il enregistrera bientôt ses premiers succès électoraux.
Déjouant les attentes d’un public non représentatif de la majorité, Senghor se démarque donc de la majorité des coloniaux, prompts à dénoncer les « retards » de l’Afrique, en se plaçant sur le terrain de la culture, seule à ses yeux à permettre l’épanouissement humain. Il estime que l’Africain doit plonger jusqu’aux racines de sa race et bâtir sur son fonds propre, sans craindre d’affirmer sa différence.
Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’à cette époque Senghor se souvienne du livre de Robert Delavignette Soudan, Paris , Bourgogne, paru en 1935, dans lequel le directeur de l’Ecole coloniale évoque « la douceur d’être différents et ensemble ».
Cette différence, l’auteur des Chants d’ombre entend bien la manifeste, je manifesterai l’Afrique comme le sculpteur de masques au regard intense écrit-il dans « à la mort » (Chants d’ombre, p26), et d’autant plus que ses amis et lui-même s’estiment victimes d’un véritable déni de culture. Evoquant les années du Quartier latin, Senghor écrira quelques années plus tard : Nous étions alors plongés, avec quelques autres étudiants noirs, dans une sorte de désespoir panique. L’horizon était bouché. Nulle réforme en perspective, et les colonisateurs légitimaient notre dépendance politique et économique par la théorie de la table rase. Nous n’avions, estimaient-ils, rien inventé, rien créé, ni sculpté, ni peint, ni chanté…. Pour asseoir une révolution efficace, il nous fallait d’abord nous débarrasser de nos vêtements d’emprunt, ceux de l’assimilation, et affirmer notre être, c’est-à-dire notre négritude.
La tentation passéiste
On s’explique mieux, dans ces conditions, et dans le climat d’intensité émotionnelle qui prévaut dans les rangs des intellectuels noirs, la volonté d’un retour aux sources ostentatoire. Elle s’exprime, en particulier, dans la poésie intitulée « le message » qui développe le thème de la résistance au conquérant Peul et constitue une manière de sanctification de l’histoire nationale :
Faut-il dérouler l’ancien drame et l’épopée ?
Allez à Mbissel et à Fa’oy ; récitez le chapelet des sanctuaires qui ont jalonné la Grande Voie
Refaire la Route Royale et méditer ce chemin de croix et de gloire.
Vos grand prêtres vous répondront : voix du sang !
Toutefois, Senghor ne verse pas, comme certains de ses compatriotes, dans une négrophilie intempestive, et, s’il se garde de tout fétichisme à l’égard de la tradition, le viatique qu’il délivre à ses auditeurs de la Chambre de commerce de Dakar est sans ambiguïté : vous méditerez ces paroles du colonel Mc Kay…Il nous dit, par la bouche de Ray, le héros de Banjo « plonger jusqu’aux racines de notre race et bâtir sur notre propre fonds, ce n’est pas retourner à l’état sauvage : c’est la culture même ».
La tentation socialiste
S’il regarde du côté de l’Afrique, Senghor est également inscrit dans le courant des influences contemporaines, et on se souvient qu’à Tours, alors qu’il était jeune professeur, il a adhéré au credo du Front populaire.
Le poème « A l’appel de la race de Saba » se fait l’écho de cet engagement du poète aux côtés des « damnés de la Terre » :
« Voici le mineur des Asturies, le docker de Liverpool, le juif chassé d’Allemagne, et Dupont et Dupuis et tous les gars de Saint Denis ».
Mais cet hymne à la gloire de l’égalité et de la fraternité républicaines ne va pas sans contradictions et conduit le poète à transgresser l’un des tabous de la société sénégalaise fondée sur une stricte délimitation des rôles sociaux :
… « Ni maîtres désormais ni esclaves ni guelwan ni griots de griot
Rien que la lisse et virile camaraderie des combats, et que me soit égal le fils du captif, que me soient copains le Maure et le Targui congénitalement ennemis ».
Ces fluctuations dans la pensée et la posture de Senghor s’expliquent mieux à la lumière du mouvement des idées qui traversent la période de l’entre- deux guerres, et en partie du mouvement des néo-traditionnalistes.
La tentation de l’antirationalisme
La stagnation économique, la misère sociale et la crise morale, qui affectent la France au cours des années trente, conduisent un certain nombre de penseurs et d’hommes politiques à professer une forme d’anti-rationalisme et à exalter, dans le sillage de Maurice Barrès, les valeurs de la terre et du sang. On pense ici à Jean Guéhenno, à Jacques Maritain et au courant du personnalisme tel qu’il s’incarne dans la personne d’Emmanuel Mounier et de la revue Esprit, mais également aux revues Charpentes (dont le rédacteur-en-chef Lucien Combelle collaborera avec le régime de Vichy) et Volontés qui, toutes deux, accueilleront des contributions de Césaire et de Senghor.
Dans leur sillage,à Prométhée et à Hercule qui veulent corriger l’œuvre désordonnée des dieux, Senghor oppose le mythe d’Antée, fils de Neptune et de la terre, qui tirait de son contact avec le sol des forces inépuisables. Refusant, pour l’instant, tout métissage et toute assimilation, Senghor estime donc que « le service nègre aura été de contribuer à refaire l’unité de l’Homme et du Monde, de lier le réel au surréel » (« Ce que l’homme noir apporte », Liberté I p. 38).
On observera ici que le poète participe largement du courant anti-positiviste, illustré notamment par Oswald Spengler dont l’ouvrage intitulé Le Déclin de l’Occident exaltait le retour à la terre, et voyait dans le paysan le fondement de toutes les civilisations : elles périssent lorsque l’âme paysanne se corrompt.
De là à établir l’équation paysan=nègre, il y avait un pas que Senghor était certainement tenté de franchir.
La tentation de l’Allemagne
A la lecture du philosophe munichois (Oswald Spengler) vient s’ajouter, pendant ces années de formation, la fascination du poète pour le jeune Goethe et pour les Romantiques allemands : « Vous comprenez quelle était notre émotion quand nous lisions Novalis et les romantiques allemands. Ils étaient retournés aux sources germaniques du Lied et du Märchen ».
Pour Senghor, symboliquement, la traversée du Rhin reconduisait les Nègres vers la grande forêt où ils pourraient enfin renouer avec ce que Césaire appelait « l’esprit de brousse » (L’Etudiant noir, 1935 ).
Le tournant de 1942
La seconde guerre mondiale fait du brillant universitaire un soldat de 2° classe incorporé au 31° régiment d’infanterie. Réformé une première fois, Senghor est rappelé en février 1940 et fait prisonnier par les Allemands à La Charité sur Loire. Deux ans durant il connaîtra la détresse et la fraternité des camps de prisonniers, avant d’être réformé en 1942. C’est au cours de cette période qu’un officier autrichien sauve le manuscrit d’Hosties noires qu’il dépose chez G. Pompidou.
La défaite et la captivité mettent un terme au « flirt » avec l’Allemagne, et sonnent le moment du « retour aux Grecs » : « Nous avions relu nos classiques qui, sous le ciel clair de la raison hellène, nous faisaient voir les choses sans ombre…ce qui était la sagesse ».
C’est l’époque où Senghor s’achemine vers la notion d’ « accord ??? conciliant », notion à nouveau empruntée à Frobenius et qui prépare à celle de métissage, naguère refusée et dont Robert Delavignette s’était fait l’avocat dans Paris-Soudan-Bourgogne en prônant le concept de « civilisation franco-africaine ».
Dès 1945 Senghor s’achemine vers l’idée d’un métissage biologique et culturel, sans cependant renoncer à l’idée qu’il existait une culture que tous les noirs partageaient du fait de leur appartenance raciale.
Cette époque marque en effet la sortie du ghetto de la Négritude et la conversion à une Afrique concrète, avec, en octobre 1945, l’élection du poète à l’Assemblée constituante sous l’égide de la SFIO, avec laquelle il va bientôt prendre ses distances en créant en 1948 son propre parti, le Bloc Démocratique Sénégalais (BDS).
La suite est connue : nommé Secrétaire d’Etat dans le gouvernement constitué par Edgar Faure en 1955, Senghor accède à la magistrature suprême du Sénégal indépendant en 1960. Réélu à plusieurs reprises à la tête de l’Etat Sénégalais, il a quitté le pouvoir de son plein gré le 1° janvier 1981, à l’âge de 74 ans.Au regard de tout ce qui vient d’être dit, il apparaît donc difficile de considérer la Négritude comme un véritable système. On y verra plutôt un ensemble mouvant de concepts, rythme, émotion, culture, latinité, forces telluriques, etc..,tous éléments qui peuvent intervenir dans une série de combinatoires à géométrie variable.
Ce sont autant de constellations où se mêlent,se lisent et parfois se télescopent les influences de personnalités aussi différentes que Frobenius le mystagogue, Maritain le mystique, Barrès et son culte de la terre, ou encore le jeune Goethe en rébellion contre l’ordre français.
Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à partir de 1945 la vision pan-nègre qui imprégnait les premiers textes se rétrécit. Devenu Président du Sénégal, Senghor en est, semble-t-il, arrivé à présenter la Négritude comme la dimension culturelle d’une civilisation soudano-sahélienne, comme s’il s’éloignait du concept de race pour réajuster sa théorie à l’ethnie, ou plus exactement à un groupe d’ethnies ouest-africaines dont les liens, très réels, sont enracinés dans une histoire commune.
Rétrécissement donc, mais également élargissement aux dimensions de cette civilisation de l’universel que Senghor évoque rituellement dans toutes ses interventions publiques.
S’il est vain de rechercher dans le mouvement de la Négritude un véritable système de pensée,il faut cependant convenir de l’importance de l’héritage qu’il lègue à la postérité.
En lieu et place du portrait trop lisse complaisamment répandu par les média, on préfèrera donc retenir ici l’image complexe et souvent angoissée d’un humaniste, auquel on doit reconnaître les plus grandes vertus de ténacité dans son combat pour la reconnaissance des cultures nègres auquel son nom demeure indéfectiblement attaché.