M. Bertrand Poirot-Delpech.
A Messieurs les Ambassadeurs, Monsieur le Président, Chers amis,
je dirai : Chers Amis de Senghor, car cette expression suffit à situer la famille dans laquelle nous sommes.
D’autre part, j’ai appris que vous étiez quatre-vingts membres, c’est-à-dire, si je calcule bien, deux fois plus nombreux que l’Académie, vous êtes donc deux Académies à vous seuls, cela me paraît un signe appelant le respect et l’estime !
Ensuite, je voudrais vous dire mon soulagement, le remerciement d’être là, le remerciement d’être invité à vous dire quelques mots, dont je vous demande d’avance d’excuser le « sautillement » ; je n’ai pas eu le temps de préparer, d’écrire en notes ma communication; elle sera probablement très courte, un peu du coq à l’âne, comme étaient les communications du Président Senghor à l’Académie; ce ne sera que plus ressemblant! Mais je veux d’abord que vous m’excusiez du disparate de mon propos.
Oui, soulagement d’abord, parce que, enfin, notre réunion ne se passe pas sous le signe du malentendu et des exploitations politiques. J’étais de ceux qui étaient ravis que Mme Carrère d’Encausse prenne le premier avion pour Dakar, lorsqu’on a appris que les obsèques du cher Président auraient lieu; non seulement j’étais navré que les plus hautes autorités de l’État n’eussent pas le même réflexe, qu’aurait eu Pompidou, comme ancien condisciple, qu’aurait eu le général De Gaulle par le premier avion, réflexe que n’ont pas eu nos autorités suprêmes, actuellement candidates au poste suprême, et je ne sais pas ce qui était le plus affligeant: leur absence à Dakar ou la façon dont ils se sont rattrapés aux branches, il n’y a pas d’autres mots, en venant à une cérémonie purement religieuse et familiale, ce qui ne manquait pas de culot!!! [celle organisée par l’Académie à (église Saint-Germain des Prés le 29 janvier 2001 (ndlr)] (applaudissements…).
Je me souviens, par exemple, de ce signe de l’humour de Senghor… Je suis allé lui rendre visite, peu de temps avant son élection à l’Académie, et Senghor m’a dit assez drôlement: « Ils ne vont quand même pas faire une élection blanche à mon propos ! »
Je vois, ici, le buste du Président Monnerville… et Senghor avait eu ce mot étonnant, qu’il tenait d’ailleurs du Président Monnerville, lui-même, à propos de la Présidence de la République française: » La preuve que les Français ne sont pas racistes, disait le Président Monnerville, c’est que je suis Président du Sénat; la preuve qu’ils le sont, c’est que je ne serai jamais Président de la République. »
Voilà le genre d’humour que pouvait avoir le Président Senghor, pour ne jamais donner trop de poids, d’apparat ou de solennité à un propos qui était toujours aigu, mais qui ne se flattait pas de l’être, ce qui obligeait à être très attentif à tous les détails de sa parole.
Je me souviens encore qu’à propos de la Normandie donc, où j’avais eu la joie et l’honneur d’être reçu, lorsque Mme Senghor était venue nous saluer, il était dans son petit jardin, dans sa balancelle, au bord de la route de Verson; sans vouloir attenter à l’orgueil normand, je lui faisais part de mes doléances personnelles sur ce pays de la vallée d’Auge et autres, où il pleut.
Et pensait que ce crachin devait lui donner un peu la nostalgie de son pays. Mais il était tellement amoureux et fidèle qu’il disait: » Que voulez-vous, j’ai épousé la normanditude » à propos de la négritude, et il le disait avec énormément d’affection et de tendresse.
Donc il avait épousé la » normanditude » et, à ce propos, il se lançait dans des diversions sur tout ce que la Normandie avait produit de littéraires, et de littéraires à son goût. En passant d’abord, évidemment, par Flaubert et Maupassant, les » voisins » disait-il, mais aussi plus récemment, des gens comme Salacrou, que peu connaissent, ou encore Raymond Queneau, qu’il taquinait, en disant: » Il a beaucoup abîmé la langue, pour jouer avec, ce n’est pas bien, il ne faut pas jouer comme ça avec la langue! » Je dirai, un peu plus tard, que son purisme n’était pas attardé, que c’était l’agrégé de grammaire qui ne supportait pas les entorses à la règle!
Voilà pour l’humour qui teintait tout son discours.
Mais l’Académie, puisque c’est ce dont on m’a demandé de traiter! II a donc été reçu en mars 1984 par le Président Edgar Faure, qui a fait un discours… Je l’ai apporté là, je pourrais vous en faire lecture, mais je ne veux pas trop prolonger la séance: il y a des passages sur le Président Senghor, de la part du Président Edgar Faure, qui sont sublimes de finesse, de pénétration, pour Senghor, pour ce qui est du » métissage » des langues et de la destinée même du Président.
Il a ouvert une voie, parce qu’enfin, c’était la première fois que l’Académie montrait autant de xénophilie et d’ouverture d’esprit; elle a été longtemps assez réticente à certains appels du dehors, telle l’arrivée de Mme Yourcenar, qui non seulement était belge, mais aussi femme, ce qui était quand même beaucoup à nos yeux, aux yeux en tout telle cas de nos devanciers! M. d’Ormesson s’est beaucoup démené, et on lui en tient encore rigueur dans les recoins de l’Académie; il arrive encore qu’on le taquine, sur l’espèce de campagne forcée, forcenée, qu’il a menée et il a bien fait – pour faire entrer Marguerite Yourcenar. De même, on se souvient de l’entrée de Joseph Kessel, commençant son discours par « un juif sous cette Coupole, ça fait désordre… » C’est à peu près son propos. Bien qu’André Maurois ait beaucoup poussé à sa venue, c’est vous dire que l’Académie, en effet… je parle sous le contrôle d’un de nos jeunes élus qui, probablement, ne voudra pas approuver, parce que c’est un peu insolent de parler de cette Maison comme cela, mais il est vrai qu’il a fallu rompre avec les habitudes et qu’il s’est trouvé des confrères pour hésiter sur la venue du Président Senghor à l’Académie.
Certains ont rappelé ce mot, qui a trainé beaucoup, je crois que cela s’était passé à la table du Gouverneur Eboué, je pense… Mais enfin, à un moment donné, le Président Senghor se l’était attribué, c’était une femme de parlementaire (je n’ai rien contre les parlementaires, nous sommes dans leurs murs!). Une femme de parlementaire est reçue à la table du Gouverneur Eboué, à moins que ce ne soit à celle du Président Senghor, et, entendant parler une langue magnifique, elle lui dit: « Vous parlez bien le français »… et le Président Senghor aurait répondu, à moins que ce ne soit le Gouverneur Eboué, mais oublions, que ce soit l’un ou l’autre, il aurait répondu: « moi, y en avoir aucun mérite, moi, y en a être agrégé de l’Université… » (rires…)Sa présence à l’Académie a malheureusement été écourtée par la maladie du Président qui, pendant les cinq dernières années, ne venait plus ou venait dans un état d’absence qui nous bouleversait. Il écoutait, il intervenait, mais presque toujours sur le même thème, comme si des idées fixes le poursuivaient, l’entouraient d’un nuage…, ce qui n’enlevait rien à son accueil exquis, à sa diction, tellement bien détaillée, son goût parfait de la langue; mais il s’éloignait, un nuage l’enveloppait… Nous avons beaucoup souffert de cette mort lente, même si, physiquement, il était parfaitement présent. Depuis plusieurs années, nous le regrettions infiniment, parce qu’à la Commission du Dictionnaire, où j’avais la chance de voisiner avec lui, il avait toujours des remarques d’une acuité et d’une compétence considérables, puisqu’il était agrégé de grammaire et se réclamait de son maître Ferdinand Bruneau, qui était le grand maître de la grammaire en Sorbonne des années 20 et 30.
Je me souviens que toutes ses remarques étaient assorties d’une espèce de bruissement de rire un peu aigu, accompagné d’un oui, oui, oui, oui… et il disait: » Vous savez, il ne faut pas oublier les virgules, oui, oui, oui, oui… » Nous étions comme des enfants devant le maître d’école, il ne fallait pas oublier de virgules dans les définitions du Dictionnaire; il disait: » Si le complément direct d’objet n est pas aussitôt après le verbe et qu’il y a d’autres compléments qui les séparent, il faut qu’il soit entre virgules, pour que les enfants ne s’y perdent pas « . On croyait entendre les maîtres d’école de Jules Ferry: » Veillez à ce que la langue soit enseignée d la perfection « . Et cet exemple devrait encore nous guider.
Il avait un souci, donc, de la grammaire, très poussé, et je regrette l’absence de Jacqueline de Romilly, qui m’a demandé de l’excuser, mais qui est très fatiguée et, comme on le sait, je crois, a perdu la vue totalement, ce qui, pour quelqu’un quia vécu pendant soixante-dix ans dans les livres, est un calvaire, un supplice. Pour vous donner, juste en passant, un signe de sa bravoure, même de son courage, le jour où elle a appris qu’elle ne verrait plus, elle ne voyait plus déjà, elle a eu ce mot merveilleux, elle a dit: » Peu importe, je connais tous les adieux à la lumière de la tragédie grecque, je me les réciterai « . C’est vous dire la grandeur d’âme de cette personne! Une autre fois, elle avait changé d’ophtalmologiste (mais je m’égare, c’est sans doute parce que je n’ai pas pris assez de notes!) et, croyant bien faire, ignorant qu’il avait à faire à la plus grande helléniste au monde, il lui dit : » Est-ce que vous n’avez pas l’impression, enfin de journée, que les caractères d’imprimerie se changent en lettres grecques?!!! » Elle a dit n’avoir pas osé lui dire que c’était son pain quotidien et qu’elle se nourrissait de lettres grecques. Elle lui a alors simplement répondu: » Docteur, c’est possible! « ; toute l’élégance de cette personne est dans ce » c’est possible ! « .
Donc elle aurait aimé dire ses souvenirs de la khâgne de Louis-le-Grand; elle était pionnière, puisqu’elle a été accueillie rue d’Ulm de façon tout à fait exceptionnelle, car les femmes, à l’époque, n’y étaient pas admises, on les renvoyait à Sèvres, à l’École de Sèvres, en disant: les femmes vont de leur côté, en pensant, d’ailleurs, qu’elles seraient évidemment moins bonnes que les hommes! Et la chance personnelle… : c’est une anecdote qui nous éloigne un peu du sujet, mais j’ai aussi une fille qui a été reçue rue d’Ulm, concours commun entre les garçons et les filles; et on avait dit: elles vont se retrouver dans le paquet du bout!; finalement, le premier était un garçon et les quinze suivants étaient des filles, dont la mienne! Je suis très fier de cela: c’est pourquoi je le place, en passant…
Mais, pour revenir au Président Senghor, à la Commission du Dictionnaire, il avait la susceptibilité de quelqu’un qui aurait en héritage et en charge les trois ou quatre siècles de la vie moderne de la langue française. Il disait: » Ah oui, mais Vauvenargues vous aurait dit que… » ou bien » Ce n’est pas Fontenelle qui aurait parlé comme cela! » Donc nous étions sous la surveillance de tous les siècles précédents, de l’Académie des débuts, et Dieu sait si elle était huppée! Puisque j’ai eu à faire un discours sur » le troisième siècle de la première édition du Dictionnaire » en 1994 (la première édition datait de 1694), j’avais retrouvé les procès-verbaux, où il y avait, ayant signé les procès-verbaux, avec compte rendu de leurs remarques, tenez-vous bien: Boileau, Perraut (des contes), Racine et Corneille… tout ce petit monde prenait sur son temps d’alexandrins, d’écritures et d’études, pour venir veiller sur l’instrument de travail commun qu’est la langue française; et veiller avec quel soin et quel génie !
Quand nous nous retrouvions, dans cette petite salle, autour du Dictionnaire, le Président Senghor était le premier à dire: » N’oubliez pas que nous succédons à… » et suivait la liste que je viens de vous donner. Il était certainement le plus révérend, le plus respectueux, le plus scrupuleux, le plus sourcilleux de tous les Académiciens, face à cette tâche qui parait folklorique et bien lente, et, en réalité, qui nous donne l’occasion, en tout cas, de montrer par l’exemple que la langue reste le dernier moyen, inégalé, d’échanger entre les disciplines, entre les savoirs, les rêves… et que d’avoir à la fois Obaldia ou d’Ormesson, Troyat, Jean Bernard ou Lévi Strauss, ou naguère le Président Senghor, en train de discuter sur la définition d’un mot, c’est aussi être à la source de cette merveille qu’est l’organe vivant de la langue.
On a dit… – M. l’Ambassadeur, vous avez très bien parlé de l’universalisme à quoi tendait le Président Senghor, dans toutes les activités de sa vie; cet universalisme passait par un culte très prononcé et vécu la plume à la main, du métissage linguistique et du métissage langagier, y compris dans la langue orale. Je me souviens d’une conversation très profonde sur le poète algérien, Katel Yassin, qui se réclamait, comme le Président Senghor, de Claudel et d’autres choses… et d’une autre langue; et il me parlait du métissage chez Yassin; personne ne m’avait parlé, comme il l’a fait; c’était d’une pénétration, d’une intuition de grand grammairien, sur un problème qu’il connaissait bien, puisque c’était aussi son problème, de mettre le chant qu’il portait, le chant des ancêtres, dans la langue adaptée, la langue gréco-latine, comme il l’appelait quelquefois, qu’il avait adoptée dans les années 30.
Vous avez parlé, M. l’Ambassadeur, et j’en ai presque fini, de la mondialisation et c’est déjà un regret de ne pouvoir poser au Président Senghor les questions qui nous viennent à propos de ce qui est en train de se produire sur la planète. Je reviens de Porto-Allegre, où il y avait un forum mondial social qui a été présenté par la presse de façon un peu folklorique, comme un lever de rideau du carnaval de Rio et une « samba » de plus ou de moins. J’aurais aimé savoir, parce qu’au fond vos propos ressemblent beaucoup à ce que j’ai entendu là-bas, ce que le Président Senghor aurait dit de cette esquisse de projets, de vague utopie, qui consiste à dire : » Bon, l’Europe de l’argent, c’est la planète, c’est la mondialisation des décideurs économiques, c’est une chose… mais enfin, n’y aurait-il pas moyen de s’entendre sur la façon de redonner un peu de la parole, du pouvoir, par le biais de la démocratie, non seulement, au besoin social à la demande sociale, mais tout simplement aux particuliers de toute une partie du monde, parce qu’enfin, si on sait qu’il n’y a pas mieux que le libéralisme pour créer de la richesse, il n’y a pas pire pour la partager; et que les écarts entre les riches et les pauvres n’ont jamais été si poignants, si cruels « .
Et là-bas on disait: » Il faudrait en finir avec la dette du tiers-monde, passer l’éponge dans un premier temps, il faut en finir avec les paradis fiscaux, il faut en finir avec la spéculation sur les monnaies qui font que malgré leurs efforts des pays pauvres n’arrivent pas aux niveaux qu’on leur assigne; et il faut en finir avec la marchandisation des biens qui devraient exister à l’inventaire de l’Unesco, comme biens de l’humanité, je veux dire: l’eau, l air, la mer, et puis la végétation, la nature et la vie spirituelle, la vie culturelle, l’âme et le corps; il faut absolument les exclure de la mise à l’encan, de la mise aux enchères que nous prépare cette société purement économique! »
Qu’aurait-il dit de ce programme, en effet utopique, que j’ai été très heureux, très soulagé, d’entendre défendre par M. l’Ambassadeur, parce que je pense qu’en France et en Europe, cultivée et riche, privilégiée, on trouverait aussi des forces pour s’inquiéter de ce que les logiques du marché règlent tout. Il y a la part de l’âme, il y a aussi la part de la nature, encore une fois, qui devrait échapper à la marchandisation, à la surenchère, à la spéculation, au profit. Ce programme, j’aurais aimé que le Président Senghor s’exprimât sur lui.
Et je lui aurais posé aussi d’autres questions sur la dérive de l’école en France et dans d’autres pays, mais particulièrement en France. Il avait, sur l’apprentissage de la langue, des propos qui n’étaient pas du tout attardés, mais progressistes. Il disait: » La seule façon d’égaliser les chances… » On nous dit partout, tous les discours retentissent de ce projet: égaliser les chances des enfants; la seule façon, ce n’est pas de leur faire faire de la pâte à modeler et… tout, sauf de leur apprendre des choses; c’est de leur donner cet instrument de base que Jules Ferry rêvait de faire partager par tous; et à force de vouloir leur plaire, de les séduire, de les réjouir, de les divertir, au lieu de leur apprendre les choses, on creuse l’écart entre ceux qui trouveront une bonne langue à la maison et ceux qui n’en trouveront aucune. Par conséquent, cela n’est pas réactionnaire que de dire: pour tous, l’apprentissage de la langue, mais l’apprentissage sérieux, ennuyeux de la langue; c’est, au contraire, le progrès même, parce qu’il rétablit les chances entre les enfants et non pas le divertissement, la diversité systématique de l’enseignement, qui fait qu’il ne faut même plus apprendre les Fables de La Fontaine; pour un peu, maintenant, si un enfant dit: » J’aimerais bien apprendre Le loup et l’agneau « , le professeur lui répond: » Va donc, eh bourgeois! « ; ou bien: » C est quoi l’accord des participes? « , et on va lui répondre » C’est un truc de riches!!! » Mais on en est là… ! Et cette crise de l’école, je pense que, déjà, le Président Senghor en voyait les premiers signes, cela le mettait en colère.
Il ajoutait une chose, que je vous livre pour finir, parce que cela me semble très intéressant, au moment où les campagnes électorales s’esquissent autour de l’insécurité. Il avait dit: » Mais ne cherchez pas la source de la violence, c’est la difficulté à maîtriser une langue, l impotence verbale; l’impotence linguistique est à la racine de la violence et des voies de fait « . Et il citait Homère, car, dans Homère, on voit que la langue sert à injurier l’ennemi, à prendre le dessus, mais aussi à apaiser les conflits; et s’il y a des voies de fait, c’est souvent parce que : » Je ne sais plus quoi te dire, alors je tape » et que la violence est la fille de l’analphabétisme d’aujourd’hui et non pas du tout du manque de commissariat dans telle ou telle banlieue! Si la langue y était enseignée, si les enfants parlaient entre eux des Animaux malades de la peste, ils ne se taperaient pas sur la figure, ils donneraient encore moins des coups à leurs maîtres.
Il y avait le respect du maître, aussi, et le Président Senghor, je me souviens, disait:
» Comment font les Japonais? Je crois crue ce sont les derniers humains qui respectent l’ancêtre « . Cela l’étonnait beaucoup, et je n’ai toujours pas compris pourquoi, au Japon et dans les sociétés asiatiques, plus précisément au Japon… II avait voyagé là-bas et disait: » Eh bien, le savoir est respecté et l’ancien, par définition, détient plus de savoir que le gamin « . Alors, aujourd’hui, on entend un Pierre Boulez à la radio… il y a peu de semaines, dire: » Je préfère entendre un jeune jouer au piano avec les coudes qu’écouter un premier prix du Conservatoire » ; c’est une démagogie criminelle! J’étais en voiture, j’ai failli prendre un téléphone, faire quelque chose, tellement cela me paraissait heurter le bon sens, l’honnêteté.
Alors, le Président Senghor, il faudrait que je retrouve certains textes de lui, mais je vous garantis ces phrases, parce qu’elles datent de ses dernières apparitions, si émouvantes, un peu fantômatiques, mais en même temps très affectueuses, à la Commission du Dictionnaire… Une de ses dernières phrases, c’était: » Quand on nous parle de la violence, commençons par apprendre la grammaire; la grammaire, c’est à la fois ma patrie, j’en fais la panacée, je maintiens que l’apprentissage de la grammaire est en soi, apaisant, que c’est cela gui fera la fraternité dans le monde « . Et je pense que cet idéal tracé par le Président Senghor devrait nous guider tous, pour esquisser l’avenir de nos écoles et de nos sociétés. (applaudissements!)
Je voudrais seulement vous livrer deux minuscules souvenirs en guise de conclusion. Le premier, concernant la » rationalité » attachée à la langue française j’ai souvenir d’une phrase du Président Senghor, qui revenait parfois, toujours lors du travail du Dictionnaire, il disait: » Trous savez, (on cherchait à justifier une étymologie ou une acception d’un mot ou sa construction), ne cherchez pas, la langue est un organisme vivant, elle est donc pleine d’illogisme, d’absurdité, de choses injustifiables, qu’il faut apprendre par coeur, mécaniquement, et cela a l’avantage d’un très bon apprentissage pour la vie sociale qui est également tissée d’absurdité « .
Le second, je parle sous le contrôle des familiers du Président Senghor, a trait au goût de la peinture qu’avait le Président Senghor: j’ai souvenir que, dans la salle à manger de Verson, dans laquelle il m’a fait l’amabilité de m’accueillir, il y avait, derrière lui à table, un immense tableau représentant un amiral, du temps de la flotte à voile, et je lui dis: » Qui est cet amiral? » Il me répondit: » C’est l’amiral qui commandait la flotte française lorsque les Français ont pris pied au Sénégal « . Et je lui dis: » Mais, Président, vous n’êtes pas rancunier! » Il me répondit: » Il faut vous dire que c’est aussi un lointain parent de ma femme »; alors j’ajoutai: « Mais quelle absence de rancune, malgré tout! « … pour vous dire combien les mots avaient de l’importance dans ses pensées et dans ses sentiments, et la sonorité des mots… il me dit: » je n’aime pas la rancune, d’ailleurs cela rime avec lacune! «